Month: décembre 2015

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Risotto patriotique:post

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La préparation d’un bon risotto à la milanaise requiert un riz de bonne qualité, du genre Vialone, aux gros grains relativement plus ronds que les grains du genre Caroline, qui ont une forme allongée, presque fuselée. Un riz qui n’est pas entièrement “décortiqué”, c’est-à-dire entièrement dépouillé du péricarpe, à la faveur des connaisseurs piémontais et lombards, des cultivateurs directs, pour leur cuisine personnelle. Le grain, à bien le regarder, se révèle çà et là couvert des lambeaux résiduels d’une pellicule, le péricarpe, comme ceux d’une robe déchirée couleur noix ou couleur cuir, mais très fine : cuisiné selon les règles, cela donne d’excellents risottos, nourrissants, riches des mêmes vitamines qui ennoblissent les blés tendres, les grains, et les voiles de leurs peaux. Le risotto à la paysanne fait avec ces riz est particulièrement exquis, ainsi que le risotto à la milanaise : un peu brun, c’est vrai, après et malgré le baptême doré du safran.

Sinatra a un rhume:post

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Dans un coin sombre près du bar, un verre de bourbon dans une main et une cigarette dans l’autre, Frank Sinatra est debout entre deux blondes, jolies mais plus franchement jeunes. Assises, elles attendent qu’il veuille bien dire quelque chose. Mais lui reste silencieux. Il n’a pratiquement pas ouvert la bouche de toute la soirée, et à l’heure qu’il est, le regard perdu au-delà du comptoir dans la pénombre de la grande salle enfumée où des dizaines de jeunes couples se serrent autour de toutes petites tables quand ils ne dansent pas le twist au milieu de la piste au son assourdissant de la musique folk-rock déversée par la chaîne stéréo, il paraît encore plus impénétrable. Les deux blondes et les quatre hommes debout autour de lui dans ce club privé de Beverly Hills savent qu’il est préférable de ne pas forcer la conversation quand il reste ainsi muré dans un silence renfrogné. Et il faut bien dire qu’il en a souvent été ainsi au cours de cette première semaine de novembre, alors que dans un mois il aura cinquante ans.

Touche pas à ma ville:post

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J’avais neuf ans en 1974 quand, au plus fort de la crise déclenchée par la politique de mixité raciale dans les écoles, mes parents et moi avons traversé South Boston en voiture pour rentrer à Dorchester, où nous habitions. Au niveau de West Broadway, nous nous sommes retrouvés coincés dans un embouteillage monstre, et, pare-chocs contre pare-chocs, nous avons progressé à une allure d’escargot au milieu d’un des rassemblements populaires les plus effrayants que j’aie jamais vus. Des effigies du juge Arthur Garrity, du sénateur Edward Kennedy et du maire Kevin White, accrochées aux réverbères, brûlaient un peu partout. Les flammes se reflétaient sur les vitres de la Chevy de mon père, à travers lesquelles je voyais défiler les visages d’une foule tellement déchaînée que la scène avait un caractère quasi médiéval.
Ce soir-là, la raison ne faisait pas recette dans West Broadway – pas plus que la compassion ni le désir de débattre de nos différences dans la nuance ou le respect de la complexité. L’heure n’était pas aux échanges civilisés, mais à la rage.

Lettres d’Oslo:post

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22 avril

Demain lundi s’ouvre la deuxième semaine du procès Breivik. Je couvre l’événement pour Associated Press. La semaine dernière à la même heure, je me rongeais les ongles et mettais tout ce qu’il ne fallait pas dans mon sac. Aujourd’hui, je sais qu’il faut prévoir un déjeuner deux fois plus consistant que ne l’exigerait une journée normale, quelques en-cas, une grande bouteille d’eau (à ne pas ouvrir entre le moment de l’achat et l’entrée dans la salle de tribunal), mon chargeur d’ordinateur le plus résistant, et des porte-bonheur. Ça m’ennuie de ne pas retrouver mon grigri préféré, une pièce en or, souvenir du Sacré-Cœur.

Sir Quentin Blake, l’illustrateur-frontière:post

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Quentin Blake est devenu un trésor national britannique : cela le gêne un peu mais il s’en accommode vaille que vaille. Considéré comme un génie de l’illustration, il est devenu un pilier de la littérature jeunesse et a été anobli par le prince Charles le 20 février dernier. Un événement qui récompense cet auteur prolifique âgé de quatre-vingts ans.

Quentin Blake possède une maison de campagne en Charente-Maritime. La demeure est coquette avec ses volets bleus, son allée de graviers et le saule pleureur qui jouxte la maison. Les immensités plates des environs le réconfortent, dira-t-il, “loin de ces embêtantes montagnes”. Il y a chez Quentin Blake une amabilité alliée au goût de la blague. Chaussé de baskets, il monte avec allant les escaliers qui mènent à son atelier. Un papier peint fleuri orne une pièce austère ; sur des tréteaux, des planches couvertes de papiers épais, une palette d’aquarelles mouchetée d’éclaboussures, des plumes biseautées éparpillées çà et là.

Free as a Bird:post

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L’évènement Cinéma Paradiso me faisait rêver ; le diner américain avec les fauteuils en vinyles et les serveurs en uniformes, les décapotables devant l’écran plein air. J’avais envie d’y aller pour un milkshake à la fraise. Ou à la vanille.

Qui a tué Gérard Lebovici ?:post

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Paris, 7 mars 1984 – M. Gérard Lebovici, cinquante et un ans, un des plus importants producteurs et distributeurs de films français, a été découvert tué de deux balles de .22 Long Rifle dans la tête, tôt mercredi matin dans un parking public (41, avenue Foch) à Paris 16e, près des Champs Elysées. M. Lebovici avait disparu depuis lundi. Selon ses proches il avait quitté son bureau de la rue Kepler (16e) lundi vers 18 h 55. Auparavant, il avait décommandé, par téléphone, “sur un ton courtois” un rendez-vous auquel il devait se rendre à 19 heures. Selon ses collaborateurs, il a quitté son bureau “très calmement et normalement, en disant à demain, précisant même quelques points du programme”.

Le Roi des Pickpockets:post

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Robbins danse autour de ses victimes, les place en douceur à certains endroits, évolue avec légèreté dans leur espace privé. Lorsqu’elles finissent par comprendre ce qui vient de se passer, Robbins se tient là, immobile, l’air de dire : “Je sais ce que tu ressens.” Les improvisations les plus simples de Robbins ont la dimension onirique d’une rencontre fortuite qui, imperceptiblement, tournerait mal.

L’Appel du vide:post

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L’océan Arctique était proche, juste sous eux. Rien qu’une mince couche de glace, mais ils auraient pu croire qu’il s’agissait de la croûte terrestre, ils auraient pu croire que cette vaste plaine blanche était la terre ferme reliée aux falaises côtières du Groenland, encore parfaitement visibles à trente kilomètres derrière eux. Là, le regard tourné vers l’ouest, ils pouvaient imaginer le monde pareil à un globe, une courbe de blanc s’étirant au-delà de l’horizon. Ils donnaient l’impression de pouvoir voyager sans difficulté, d’établir leur trajet et de le parcourir à toute vitesse, poussés par le vent ou par leur simple détermination. Au retour de leur ascension de l’Everest, James Hooper et Rob Gauntlett n’avaient que dix-neuf ans, et leur optimisme, leur exubérance, leur donnaient un élan phénoménal. Ils allaient pourtant se heurter à des obstacles.

Quand Elvis rencontra Nixon:post

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Monsieur le Président,

D’abord, j’aimerais me présenter. Je suis Elvis Presley et je vous admire et j’ai beaucoup de respect pour votre fonction. J’ai bavardé avec le vice-président Agnew à Palm Springs il y a trois semaines de ça et je lui ai fait part de mes inquiétudes concernant notre pays. Les drogués, les éléments hippies, les Students for a Democratic Society, les Black Panthers, etc. ne me considèrent pas comme leur ennemi qu’ils appellent l’Establishment. Moi, j’appelle cela l’Amérique et je l’aime profondément.

Ceci est un complot !:post

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Souvenez-vous, c’est ici que vous l’aurez découvert pour la première fois.

Charles Manson, individu abominable en apparence, était en fait une victime : sans le savoir, il appartenait aux services secrets de l’armée et était programmé pour tuer. En même temps, une analyse du plan directeur musical orchestré par les cocos révèle la présence d’une arme jusqu’ici inconnue – l’isolement sensoriel –, arme élaborée par l’infâme KGB pour amener au suicide spirituel et faire d’une génération de jeunes Américains des bananes. D’où les Beatles. Lee Harvey Oswald ne possédait pas de fusil, était un piètre tireur, et appartenait aux services secrets de la Navy. Tout comme Dick Dixon. L’œil de la providence qui vise à éradiquer l’idéal chrétien en Amérique, compte au nombre de ses partisans secrets des anciens présidents de l’Inde et de la Paramount, mais aussi Robert McNamara. Les prétendus dirigeants du monde des États nations peuvent gaiement se satisfaire de tranquillisants, d’alcools et de sodomies parce qu’ils sont des pantins-prostitués contrôlés par les législateurs de la vérité sur Terre, à savoir “la minorité de la syphilis juive”.
Attendez.

Boris:post

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Mon avion s’était posé de nuit, dans une ville vaste où sautaient de petits feux d’artifices : Moscou. Puis la route, le défilé des réverbères, des barres d’immeubles et des hypermarchés cyrillisés – Ашан, Леруа Мерлeн, Икеа – et par le hublot du marchroutka ma nausée naquît : même la nuit, la ville freine et crie ! Une fois rendu, je payais le chauffeur asiate et passais de l’air vicié du dedans à celui vicié du dehors : Moscou : grands tunnels et petits kiosques, Escalators tièdes et mocassins beiges, longues jambes remontant sous des jupes courtes, églises pour touristes impatients d’en sortir, expatriés immodestes et clodos au sourire métallique qui lancent aux plus riches qu’eux : “Elle est contente, la merde ? Oh oui ! Elle a l’air contente !”… De tous les hommes, les Russes sont vraiment les plus étranges et les moins étrangers… Rien n’avait trop changé. Je n’avais donc pas tout à fait raté l’époque qui m’intéressait, et par chance ma nausée semblait bien moindre que celle de cette ville, que le reste du pays ne cherchait même pas à calmer… Moscou – Russie – j’étais perméable à ce pays.

Quel monde:post

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Chers Wendell,

Larry, Ed, Bob

& Gurney,

Amis, j’ai un terrible poids sur la conscience. Je ressentais le besoin d’écrire et de parler d’une chose à quelqu’un et, comme je l’ai dit il y a longtemps à Larry, vous êtes les meilleurs confidents que je connaisse. Aussi, soyez un petit peu indulgents avec moi ; je ne suis que souffrance. Nous avons confectionné le cercueil nous-mêmes (George Walker, surtout). Zane, les amis de Jed et les membres de la confrérie ont creusé la fosse dans un joli endroit, entre le poulailler et la mare. Page a trouvé la pierre et l’a gravée. Tu aurais été fier, Wendell, en particulier du cercueil – en pin clair, bordé et orné de séquoia. Les poignées en corde de chanvre épaisse. Et toi, Ed, tu aurais apprécié le tissu de revêtement. C’était une pièce de brocart tibétain, qu’Owsley avait donnée à la Mountain Girl il y a quinze ans, cousue d’or et d’argent, aux motifs brun roux représentant des phœnix jaillissant des flammes.

Au-delà des brisants:post

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Le monde était empli du bruit d’un grand vent venu de l’Ouest,

Et les traces de ses pas étaient teintées de blanc

Sur le front, mille fois foulé, de l’Océan.

Quatre centimètres de gloire:post

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De fines volutes de fumée s’échappaient lentement par la porte ouverte du bâtiment et par une fenêtre au premier, ouverte elle aussi, avant de se dissiper dans l’air. Au-dessus, au second étage, le visage d’un enfant – très jeune et apparemment juché sur la pointe des pieds – était plaqué contre la vitre. Ses traits trahissaient la perplexité, mais pas la peur. L’homme à gauche d’Earl Parish l’aperçut en premier.

“Hé ! cria-t-il en le montrant du doigt, y a un gosse là-haut !”

Les autres levèrent le nez et répétèrent : “Y a un gosse là-haut.”

“On a donné l’alarme ? demanda un quidam qui venait de surgir sur les lieux.

— Oui, répondirent en chœur plusieurs voix, et l’une d’elles d’ajouter : les camions de pompiers devraient arriver d’une minute à l’autre.”

L’homme qui avait repéré l’enfant fit l’éloge de sa propre découverte.

“Il est drôlement bien ce gamin, il pleure pas, ni rien.

— Si ça se trouve, il se rend même pas compte de la situation.

— Les pompiers seront là dans une seconde. Ça servirait à rien d’essayer
d’intervenir. Avec leur échelle et tout le bazar, ils le sortiront de là bien
plus vite que nous.”

Un tournage pris dans l’engrenage:post

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L es rumeurs commencèrent à filtrer hors d’Ukraine vers 2008. Un jeune réalisateur russe retranché dans la banlieue de Kharkov, une ville d’un million quatre cent mille habitants à l’est du pays, préparait… quelque chose. Un film, sans aucun doute, mais pas seulement. À en croire les on-dit, il s’agissait là du projet cinématographique le plus cher, compliqué et accaparant jamais entrepris.

Par flot régulier, d’anciens figurants et des assistants entre-temps licenciés décrivaient le tournage en des termes d’ordinaire réservés aux survivants des camps. Le réalisateur, Ilya Khrzhanovsky, était un fou qui payait les équipes en roubles, les forçait à porter des vêtements de l’époque stalinienne et à manger des conserves soviétiques. D’autres parlaient du projet comme d’une secte où toute personne impliquée travaillait gratuitement. Khrzhanovsky s’était emparé de tout Kharkov, disaient-ils, avait fermé l’aéroport. Non, non, insistaient les autres,
il s’agissait d’une expérience carcérale, filmée subrepticement, peut-être par des caméras cachées. Sur son blog, le critique de cinéma Stanislav Zelvensky écrivit qu’il s’imaginait un campement entouré de “têtes embrochées sur des pics”.

L’homme qui voulair réécrire Nabokov:post

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C’est un après-midi de décembre à New York. Le ciel se remplit d’un bleu limpide et une fine pellicule blanche recouvre la chaussée.

Les Garçons du quartier:post

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On jouait à un jeu. Peut-être pas un jeu à proprement parler. Est-ce qu’une balle est un jeu ? Non, une balle n’est pas un jeu. Mais on peut en faire un jeu, pas vrai ?

L’Inquiétant terrain connu:post

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Le matin du 9 juillet 2013, aux alentours de 2 heures, une voiture piégée explosait dans la banlieue sud de Beyrouth, en plein bastion du Hezbollah, faisant plus d’une cinquantaine de blessés.

Le Syndrome de Pontier, ou l’inspiration surveillée:post

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À l’agonie, tout arrive, Paul Cézanne sortait parfois de sa torpeur pour hurler, plein de haine : “Pontier ! Pontier !”

Diem Perdidi:post

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Elle se rappelle son nom. Elle se rappelle le nom du Président. Le nom du chien du Président. Elle se rappelle dans quelle ville elle vit. Dans quelle rue. Dans quelle maison. Celle avec le gros olivier, dans le tournant.

Peter O’Toole sur la terre de ses ancêtres:post

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Tous les enfants de la classe avaient sorti leurs crayons et dessinaient des chevaux, comme la sœur leur avait demandé de le faire – tous, à l’exception d’un petit garçon, qui, ayant terminé, restait les bras croisés à son pupitre.

Gigot de la clinique:post

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Un chirurgien de province aussi gourmand que savant a inventé cette recette que nous avons acquise en soudoyant sa cuisinière. Aucune cuisse de chevreuil ne peut rivaliser avec un simple gigot de mouton préparé de cette manière. Huit jours à l’avance, vous couvrirez le gigot avec une marinade appelée Baume Samaritain et composée de vin – vieux bourgogne, beaune ou chambertin – et d’huile d’olive vierge. Dans ce baume, auquel vous aurez déjà ajouté les condiments habituels, sel, poivre, laurier, thym, mettez une pincée de poivre de cayenne, un soupçon de gingembre, une noix de muscade coupée en petits morceaux, une poignée de baies de genévrier écrasées et, pour terminer, une cuillerée à café de sucre en poudre (aussi effectif que le musc en parfumerie), qui sert à amalgamer les différents arômes. Deux fois par jour, vous tournerez le gigot.

Les Dimensions d’une ombre:post

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Miss Abelhart sortit seule de l’église. Son pas vif claquait, net et assuré, sur le ciment des marches – pas le cliquetis des hauts talons, mais quelque chose de plus dur et de plus lourd.

Vertige de la langue:post

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Il existe tant de manières de voir le monde. On peut entrevoir, repérer, visualiser, voir, regarder, épier, ou lorgner. Fixer, dévisager, scruter. Mater, surveiller, examiner. Chaque verbe suggère une subtile nuance : “regarder” implique une volonté, “épier” évoque la dissimulation, “dévisager” apporte une idée de jugement social et “fixer”, une note de stupéfaction.

Echolilia:post

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D’un travail photographique clinique, les séances évoluent vers une authentique collaboration artistique entre un artiste et son modèle qui n’est autre que son propre fils, de surcroît absent. Cette relation dure trois ans. Et donne à voir, en ligne de mire, un monde ritualisé, le monde d’Elijah, répétitif et plein de poésie.

L’Alphabet de flammes:post

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On partit un jour d’école, ne voulant pas qu’Esther nous voie. Dans mon sac, préparé lorsque ma femme, Claire, se fut enfin effondrée de sommeil contre la porte de la chambre verrouillée à double tour alors que le jour se levait, j’avais glissé des jumelles, du tissu de réduction acoustique, et suffisamment de mousse laminée pour couvrir deux adultes.

Marguerite & François:post

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Marguerite Duras : Mais quand on ne te fait pas l’école, quand ce sont des histoires qu’on vous raconte ?

François : Des histoires, alors là c’est pas pareil. Je crois qu’on… qu’on apprend les opérations à l’école, on apprend les dictées, on apprend les dessins, on apprend la pâte à modeler et puis écrire. Et pas faire des taches ! Faut être bon en soin.

Américain, âge : dix ans:post

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Si Colin Duffy et moi devions un jour nous marier, on aurait des cahiers assortis avec des superhéros en couverture. On porterait des shorts, des grosses baskets, de longs teeshirts amples à l’effigie d’athlètes célèbres, et ce tous les jours de l’année, même en hiver.

Coronado High:post

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1976

À l’horizon, un bateau. Dave Strather le vit à travers ses jumelles : les voiles spectrales se pressant sur l’eau, la coque pleine d’une cargaison précieuse. Dave était assis sur une falaise qui surplombait le Pacifique. La plage déserte était plongée dans l’obscurité, pas âme qui vive dans les quatre-vingts kilomètres à la ronde. C’était la Côte Perdue, une vaste bande de terre inhabitée et recouverte de forêts superbes, au nord de la Californie, ce genre d’endroit qui vous fait comprendre pourquoi on appelle cet État le Golden State. Dave avait choisi ce lieu précisément parce qu’il était désert. Son équipe et lui avaient besoin de discrétion. Le bateau était chargé de marchandise de contrebande : quasiment deux tonnes de Thaï Stick, la petite nouvelle dans le commerce de la marijuana, un produit aussi puissant que cher, que Dave et son équipe – une bande de trafiquants auto-baptisée la Coronado Company – allaient décharger et revendre pour des millions de dollars. Une fois que Dave eut établi un contact visuel, son équipe lança sur la radio : “Ketch au large, merci de vous identifier.”

“Ici Red Robin.”

La ballade de Johnny France:post

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Vous avez probablement entendu parler de cette affaire, celle d’une jeune femme de Bozeman, dans le Montana, qui fut kidnappée par des Hommes des Montagnes. Elle s’appelait Kari Swenson. C’était une biathlète de niveau international. En juillet dernier, pendant son entraînement, alors qu’elle courait sur un sentier près de la station de Big Sky, deux hommes jaillirent des bois et s’emparèrent d’elle avant de l’enchaîner à un arbre. C’étaient des Hommes des Montagnes, un père et son fils. Et ils étaient à la recherche d’une femme.

Ils n’auraient pas pu tomber plus mal. Non pas que Kari ne soit pas belle, suffisamment forte, ou capable de leur apprendre quelques bonnes manières. Elle avait toutes ces qualités, et bien plus encore : vingt-trois ans, diplômée de la Montana State University, skieuse et tireuse chevronnée, très sympathique la plupart du temps. Bref, on aurait pu dire de Kari Swenson qu’elle était une vraie beauté de Bozeman, la plus jolie fleur du New West. Mais le New West et ces Hommes des Montagnes n’avaient pas grand-chose en commun. Avaient-ils l’intention de la courtiser avec l’écureuil qu’ils cuisinèrent pour elle ?

Une vie comme une autre:post

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Casa Fiesta

Je ne changerais rien au début pour tout l’or du monde : j’avais une voiture électrique, une nounou tout de blanc vêtue et bien amidonnée, un poney, un lit copié sur celui de l’Aiglon, et l’archevêque du diocèse en personne avait officié à mon baptême. Je portais des chapeaux et me promenais en suçotant une petite pipe. J’étais l’enfant chéri du ranch et faisais la joie de tous. Un jour où je m’étais allongé sur le carrelage jaune et bleu pour bronzer, les yeux perdus dans les géraniums, respirant à pleins poumons notre bon air bien chaud et bien propre, une abeille me piqua le derrière. La réaction à mes cris fut grandiose : les domestiques se mirent à courir dans tous les sens et ma mère à crier des ordres ; Don Enrique m’appliqua un vieux remède indien, et mon père m’emmena jusqu’à la petite maison sur la plage pour que l’eau de mer puisse faire son œuvre. Quel monde merveilleux ! Jamais postérieur ne fut autant bichonné !

Le jour qui a suivi la mort de Superman:post

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À bout de nerfs, secoué de tremblements, il arpentait frénétiquement le fouillis de son bureau au-dessus de la grange, remuant livres, bouteilles, toiles d’araignée et nids de guêpes maçonnes, tâchant de se rappeler où il avait bien pu poser ses lunettes teintées.

Ses lunettes spéciales. Il les lui fallait impérativement. Depuis ce matin, il repoussait l’excursion jusqu’au fossé à l’autre bout du champ parce qu’une infâme fumée picotant les yeux envahissait l’atmosphère. Dès les premiers balbutiements de l’aube, bien avant que ses yeux le démangent et que la douleur lui vrille les sinus, et même encore avant la confrontation qui venait d’avoir lieu avec ces deux autostoppeurs en bas dans le jardin, il avait compris que ce jour de tristesse serait insupportable sans la protection d’une armure lui permettant de voir la vie en rose. Ces fameuses besicles, s’était-il répété, mettraient sans doute du baume sur les plaies de la journée.

L’hippo d’Amérique:post

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A ussi grotesque et improbable puisse-t-elle sembler, sachez que cette histoire est aussi vraie que sérieuse. La plupart des faits qui y sont rapportés sont irréfutables. Certains détails ont toutefois résisté à toutes mes tentatives de vérification et demeurent empreints de mystère. J’aimerais expliquer pourquoi.

Ceci est une histoire d’hippopotames, comme annoncé, mais c’est aussi l’histoire de deux hommes à la fois complexes et exceptionnels. Deux espions. Deux ennemis mortels. Chacun rêvait de tuer l’autre et s’attendait à en tirer une grande satisfaction. Des circonstances tout à fait farfelues, dans lesquelles les hippopotames occupent un rôle central, firent de ces rivaux des alliés et, plus encore, des amis. Mais, au bout du compte, leur opposition reprit le dessus.

Farm Security Administration:post

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P our décrire la démarche à l’œuvre dans Témoignage, États-Unis, l’auteur Charles Reznikoff citait cette phrase d’un poète chinois du XIe siècle : “La poésie présente l’objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l’objet et réticente sur l’émotion.” Rien n’est moins vrai dans cet ensemble de photographies de la Farm Security Administration : l’objet précis, la sensation prégnante, l’émotion à distance. Affleure par-delà les visages, la voix des humbles, par-delà les routes désertes ou les paysages désolés l’Amérique des laissés-pour-compte. Un sondage d’images recueilli non par une armée d’administrateurs zélés mais par une bande de photographes dispersés aux quatre vents à la recherche de l’image juste.

Portrait de l’artiste en postier:post

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Nous sommes en juillet 2011, à plus de sept mille cinq cents kilomètres à l’est de la ville de Waco, dans les ateliers de confection Hermès, à Lyon. Une assistante designer déploie un des carrés en twill de soie 90 x 90 centimètres qui font la réputation de la maison de luxe. Celui-ci est richement illustré de plantes et d’animaux du Texas. “C’est mon foulard préféré”, confie-t-elle à notre groupe de visite en désignant les principaux motifs. Intitulé Faune et Flore du Texas, il a été créé à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’État et a l’aspect romantique et suranné d’une planche d’encyclopédie. L’assistante designer suit du bout du doigt les contours d’une couronne de figues de Barbarie et d’une dinde charnue. Sa main caresse des nids de colverts, des troupes de ratons laveurs, un mustang en pleine ruade, un lièvre sauvage, une Longhorn impassible.

L’homme qui vous sauve de vous-même:post

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O n n’a jamais vu personne intégrer une secte. Certains rejoignent des associations en faveur des technologies vertes, du droit des animaux ou de la méditation transcendantale. D’autres se mettent à prendre des cours de yoga ou à participer à des ateliers d’entrepreneurs. D’autres encore commencent l’apprentissage d’une religion orientale qui prêche la paix et la tolérance. Selon Margaret Singer, la doyenne du pôle universitaire spécialisé dans l’étude des sectes, la règle numéro un en matière de recrutement, c’est que la personne visée ne doit jamais se douter qu’elle est en train d’être recrutée. La règle numéro deux, c’est que la secte doit monopoliser tout le temps de la recrue. Par conséquent, pour avoir une quelconque chance de secourir un nouveau disciple, il est essentiel d’agir rapidement. Le problème, c’est que la famille et les amis, à l’instar du nouveau membre de la secte, mettent un certain temps à admettre la gravité de la situation. “En général, les clients ne viennent me voir que lorsque leur fille a été fanatisée jusqu’à la moelle”, rapporte David Sullivan, un détective privé de San Francisco qui s’est spécialisé dans les sectes. “À ce stade, ajoute-t-il, le taux de réussite est très faible.”

Opération delirium:post

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Le colonel James S. Ketchum rêvait d’une guerre sans victimes. Engagé dans l’armée en 1956, il l’a quittée en 1976. Durant ces vingt années, il ne s’est pas battu au Vietnam, n’a pas envahi la baie des Cochons, ni protégé l’Europe de l’Ouest à bord d’un tank, ou aidé à bâtir un site de lancement d’armes nucléaires sous l’Arctique. En pleine guerre froide, il a pris les commandes d’une expérimentation militaire top secrète. L’objectif : neutraliser l’ennemi à coups de nuages toxiques provoquant temporairement “un dysfonctionnement sélectif de la machine humaine”, pour reprendre les termes d’un officier haut gradé. Pendant près de dix ans, Ketchum, psychiatre de formation, a travaillé avec la certitude que les armes chimiques étaient moins barbares que les balles et les obus – du moins essayait-il de s’en persuader. Afin de rendre son rêve réalité, il expérimentait sans relâche au fin fond d’un complexe militaire isolé, testant des armes chimiques sur plusieurs centaines de soldats en parfaite santé tout en se persuadant du bien-fondé de la chose.

Steak:post

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Après expérimentation du Steak [Far West] préféré de Papa. Il n’y a aucune raison pour qu’un steak frit devienne gris, gras, extra-plat et sans goût. On peut ajouter toutes sortes d’ingrédients et de saveurs à de la viande hachée – des champignons émincés, une sauce cocktail, de l’ail et de l’oignon coupés, des amandes hachées moulues, une bonne cuillerée de piccalilli, ou tout ce qui peut vous faire saliver.

Madoff en prison:post

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En août 2009, peu après son arrivée à la prison fédérale de Butner en Caroline du Nord, Bernard L. Madoff faisait la queue pour recevoir ses médicaments contre l’hypertension, lorsqu’il entendit un de ses codétenus l’appeler par son nom. Madoff, alors âgé de soixante et onze ans, auteur de la chaîne de Ponzi la plus dévastatrice de l’histoire, était habillé comme tous les autres prisonniers. Il portait l’un de ses trois costumes standardisés couleur kaki avec son nom et son matricule collés sur la poche de sa chemise. L’heure de la promenade (le moment le plus agréable de la journée d’un prisonnier) touchait à sa fin et Madoff, qui aime se ballader le long de l’allée accompagné parfois de l’ancien parrain Carmine Persico ou de l’espion Jonathan Pollard, s’était précipité vers l’infirmerie. Il avait dépassé les cellules d’isolement (“le trou”), était passé par le gymnase et sous la clôture de quatre mètres de haut, et avait pris la direction de Maryland, le bâtiment dans lequel les pédophiles sont relégués après avoir purgé leur peine. Une centaine de prisonniers se tenaient là à attendre une infirmière, certains en plein soleil.

À sa femme de ménage:post

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Rosalina. Chère.

Votre singulier problème de vue ne cesse de m’offenser. Ayez conscience qu’il y a une vérité et une beauté essentielles en toute chose. Depuis l’agonie d’une gazelle transpercée d’un coup de lance jusqu’au sourire ravagé d’un sans-abri au bord de l’autoroute. Mais cela ne signifie pas que ce qui est invisible n’existe pas. Bien que les bébés, crédules, croient bêtement que la personne en face d’eux disparaît lorsqu’elle couvre ses yeux dans
le jeu détestable qui consiste à faire coucou, c’est une méprise. Et donc, les poussières invisibles qui s’accumulent derrière les étagères de DVD dans la salle de jeux existent aussi. C’est inacceptable.
Je vais vous le dire, Rosalina, non par moquerie ou pour vous menacer mais comme une expression de la joie. La joie du vide, la joie de la réalité. Je veux que vous soyez au plus près du réel dans tout ce que vous faites. Si vous ne le pouvez pas, un semblant de réalité doit alors être maintenu.

At(H)ome:post

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Ce récit photographique raconte un événement dont on devine la trame en filigrane. Les témoignages seuls justifient l’image. Il n’y a pas de fil narratif. Ce n’est pas une pérégrination non plus. Les lieux photographiés ne sont pas innocents et ne relèvent pas du hasard. Ce travail pointe également le rétrécissement des territoires sur lesquels peut s’aventurer l’être humain. Le photographe sud-africain Santu Mofokeng dans Chasing Shadows en 1996 disait des lieux portant encore la mémoire de l’Apartheid :

“Je pourrais reprocher à mon père et à ma mère d’être responsables de mon obsession pour le sens et l’utilité des choses, et le fait que je trouve peu satisfaisante la beauté sans la vérité. Il nous arrive de protester, mais bien souvent nous sommes complices.”

Sur le toit de l’océan:post

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Plus tard, perdu au large, quand tu essayeras d’oublier tout ce que tu as laissé derrière toi, tu garderas ce souvenir tenace : un village au bord de l’océan. Ici, les maisons bien alignées avec leurs toits de tuiles grises, enveloppées par la ronde bienveillance des montagnes surplombant les rizières luxuriantes, le grenier de toute une nation. Là, les bateaux de pêcheurs, la mer dans toute sa sérénité azurée, et l’herbe verdoyante. Un grand sentiment de paix émane de cette image d’abondance : bois des montagnes, riz des rizières, poisson de l’océan. On ne manque de rien ici.

Ce village qu’unit la satiété, c’est le tien, Hiromitsu, et c’est ici, dans le souvenir de cette abondance, que tu te reconnais le mieux, cultivateur de riz depuis quatre générations. Ici, parmi une centaine de maisons en bois, se dresse celle en béton que ta famille a bâtie. Elle repose sur des piliers métalliques qui, selon tes calculs, résisteront à n’importe quelle marée haute, n’importe quelle vague errante. Dans ton coin de verdure à quelques centaines de mètres de l’océan, le jardin resplendit de pivoines, les dépendances s’étalent, l’étang à carpes foisonne.

Pentatonique:post

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Les autres passagers me regardent, stupéfaits. Comment le leur reprocher ? Le monsieur à ma gauche me dévisage comme si je venais de sortir posément une bombe de mon bagage à main. La dame qui est à ma droite ne réagirait pas autrement si j’avais ouvert mon ordinateur portable pour aller sur un site porno. Or qu’ai-je donc fait, en réalité, pour provoquer cet ébahissement ? Je viens de prendre un baladeur Sony et d’y insérer une cassette, c’est tout. Il me faut pousser le volume au maximum à cause du bourdonnement des moteurs de l’avion. Car ce que je veux entendre, on ne l’entend plus jamais en cette ère de musique digitale. Je veux entendre le son qui me ramène, plus que tout autre, au temps de mon enfance. Ma madeleine à moi. Je parle, bien sûr, du souffle de la cassette.

Cet enregistrement en est particulièrement pourvu ; c’est l’une de ses gloires. Parce qu’il s’agit d’une copie de deux autres copies. De la bande d’une bande d’une bande, dont chaque reproduction est d’une infidélité plus évocatrice, et dont chacune a acquis une strate de souffle bienvenue. Au point qu’on pourrait croire au bout de quelques secondes que ce souffle est ce qu’on a voulu enregistrer et qu’alors l’arrivée du piano désarçonne l’auditeur.

Congo Sound:post

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Hervé Halfon, un Français qui déteste les Français, est le propriétaire d’un magasin de disques situé rue des Plantes au cœur de Montparnasse, à quelques stations de métro de la tour Eiffel, bien qu’il soit spirituellement plus proche de l’avenue Gambela à Kinshasa, Congo, ou du quartier Mokolo à Yaoundé, Cameroun. Le magasin s’appelle Afric’Music. L’enseigne est discrète, la devanture ordinaire, et la boutique a la dimension et la forme d’une place de parking parisienne. La décoration intérieure n’a pas coûté cher au propriétaire. En-dehors d’un long comptoir, le magasin ne contient rien d’autre que des dizaines et des dizaines de CD rangés dans des bacs, sur des étagères ou en piles, tous dédiés à la musique africaine, à l’exception d’un rayon réservé à la musique des Caraïbes. Une chaîne hi-fi se planque quelque part derrière le comptoir, à l’abri des regards et surtout, hors de la portée d’un client qui aurait l’envie soudaine de remplacer le dernier album de n’dombolo par un morceau de M’Pongo Love. Branchée en permanence, la chaîne joue toujours à plein volume.

La Harpe du roi David:post

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A u cœur de l’Afrique existe un petit instrument réservé à la musique qu’on joue surtout pour soi. Musique intime, si toutefois cette notion peut désigner un cercle encore plus restreint que celui de la musique de chambre. Il s’agit d’une tablette sur laquelle un chevalet retient une collection de lamelles en bois ou en métal. Le musicien maintient l’instrument des deux mains en gardant les pouces libres afin de faire vibrer les lamelles ; un peu à la manière d’usagers de smartphones tapotant des messages.

Selon les régions, l’instrument qui appartient comme la guimbarde à la famille des lamellophones s’appelle sanza ou mbira, ou likembé ou encore kalimba. Il existe de nombreuses variantes de noms et surtout de formes. Le nombre de lamelles diffère et peut aller de quelques-unes à plusieurs dizaines. La tablette plus ou moins épaisse sert de caisse de résonance, si elle n’est pas remplacée par une boîte. Des bagues viennent souvent vibrer près du chevalet à la base des lamelles. Quand celles-ci ne sont pas en bois, elles sont forgées à partir de rayons de bicyclette, de baleines de parapluie ou de tout autre élément de récupération.

La musique est une offrande:post

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L’automne parisien s’était paré d’une brume hivernale. Au milieu du froid, Sonia Bazanta marchait dans un quartier morne du XIe arrondissement. Elle était habillée d’un pantalon noir léger, d’une veste polaire et d’un béret en daim sous lequel elle cachait sa chevelure. De son écharpe colorée, elle se couvrait le visage pour préserver la voix de Totó la Momposina :

“Qu’est-ce qui différencie Sonia et Totó ?, lui demandais-je.

— Nous sommes une seule et même personne, répondit-elle, aucune différence, si ce n’est que Sonia Bazanta m’est utile pour mon passeport, pour sortir du pays.”

Sonia Bazanta était partie de Bogotá, où elle vit, pour se rendre à Paris transformée en Totó la Momposina, chanteuse folklorique la plus reconnue de son pays, afin d’inaugurer le festival Villes des musiques du monde.

Ce jeudi 10 octobre 2013, Totó foulait de nouveau les rues qu’elle avait parcourues dans les années 1980, quand, à quarante ans, elle était venue à Paris pour étudier l’histoire de la danse à l’université de la Sorbonne.

Des notes sur les chansons:post

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Un jour, pendant que je vous regardais et vous écoutais chanter, Yasmine, j’ai été pris de l’impulsion de vous dessiner. Une impulsion absurde, parce qu’il faisait trop sombre : je ne voyais pas le carnet à dessins posé sur mes genoux. J’ai griffonné de temps en temps sans regarder, ne vous quittant pas des yeux.

Il y a un rythme dans ces griffonnages – comme si mon crayon accompagnait votre voix. Seulement, un crayon n’est pas un harmonica ou une batterie, et là, dans le silence, mes griffonnages n’ont pratiquement aucun sens.

Vous portiez des chaussures à talon rouges, des leggings noirs, un t-shirt foncé de teinte brune à moitié transparent aux épaules rembourrées ainsi qu’un châle orange, de la couleur des abricots. Vous aviez l’air de ne peser presque rien, un côté sec, léger, comme un éternel vagabond.

Quand vous avez commencé à chanter, tout a changé. Votre corps n’avait plus rien de sec et s’était rempli de sons, tout comme une bouteille peut se remplir de liquide au point de déborder.

Pianococktail:post

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“Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.

— Il marche ? demanda Chick.

— Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.

— Quel est ton principe ? demanda Chick.

— À chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.

69 jours:post

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La mine de San José se trouve à l’intérieur d’une montagne arrondie, rocheuse et aride du désert d’Atacama, au Chili. Environ une fois tous les douze ans, une tempête balaye le désert et déverse des torrents de pluie. La poussière se transforme alors en une boue aussi épaisse que du ciment frais.

Charles Darwin a brièvement traversé cette partie de l’Atacama en 1835. Dans son journal, il décrit le désert comme “un obstacle bien pire que l’océan le plus déchaîné”.

Au cœur de ce désert, les mineurs sont la seule forme de vie palpable. En bus ou en camion, ils voyagent vers les montagnes où est enfoui de l’or, du cuivre et du fer. Ils viennent de tout le Chili.

Peur sur la ville:post

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Pendant une semaine en mai 2006, la ville de São Paulo a manqué de se transformer en zone de non-droit, au mépris de l’État et de la nation. Présent aux quatre coins du globe, ce type de zones, à la fois sauvages et densément peuplées, font l’objet d’un déni collectif 
et, par conséquent, sont rarement étudiées. Loin de signifier un retour au Moyen Âge, elles témoignent d’une évolution vers une forme inédite – compagnes de la mondialisation et d’un nouvel ordre qui pourrait à l’avenir rendre obsolètes les frontières nationales. Ce phénomène est déjà visible dans les narco-États que sont la Colombie et le Mexique, le long des lignes de fracture territoriale en Afrique, dans certaines régions du Pakistan et de l’Afghanistan ainsi que dans une bonne partie de l’Irak. Mais il se développe aussi souterrainement dans des pays où l’État semble fort et où le gouvernement a la pleine confiance des citoyens. Le Brésil est l’un de ces pays, et São Paulo n’a rien d’une ville instable. En dépit de sa violence et de ses rues défoncées, il s’agit de la plus grande métropole d’Amérique du Sud. Avec ses vingt millions d’habitants, elle officie comme siège financier et capitale administrative de l’État le plus puissant du Brésil.

Au comptoir de “Matonville”:post

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Le chauffeur de taxi ne veut pas l’emmener. “Vous vous trompez, assure-t-il. Il n’y a rien à cet endroit !” L’adresse indiquée est pourtant la bonne. Elle conduit à Fleury-Mérogis, située au nord de l’Essonne, où une gigantesque prison est en train de sortir de terre. En cette année 1967, le chantier s’achève. À quelques centaines de mètres, un lotissement neuf s’apprête à accueillir les surveillants pénitentiaires et leur famille. L’anecdote du taxi récalcitrant est racontée par l’une des premières habitantes du quartier. Son adresse, nommée “les Résidences”, n’est encore qu’un champ de boue au pied des tours bâties en urgence pour établir les fonctionnaires. Certains d’entre eux, faute d’appartements viables, dorment dans la maison d’arrêt voisine. En attendant que les chemins soient goudronnés, le facteur vient muni de bottes.