Amérique du sud

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Le Diable à 37 000 pieds:post

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Quelles étaient les probabilités pour que cela arrive ? L’accident avait tellement de chances de ne pas se produire, l’enchaînement de circonstances qui y menait pouvait s’interrompre de tant de façons différentes qu’un enquêteur me confia plus tard que le Diable lui-même semblait y avoir joué un rôle.

Fordlândia:post

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Luna Park né du désir le plus fou d’un magnat de l’automobile mégalomane, Fordlândia doit concilier pragmatisme et idéalisme. Un si séduisant programme ne pouvait sans doute prendre place ailleurs qu’au beau milieu de nulle part. D’un coup de baguette magique, Ford transpose une Amérique de carte postale au cœur de l’enfer vert. La vie est belle de Capra cohabite avec l’anaconda, le jaguar et la malaria.

Pour un real de plus:post

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La forêt vierge est rasée – au bulldozer, de surcroît –, ce qui appauvrit les sols. Le gmelina arborea, espèce asiatique à croissance rapide et au rendement élevé de cellulose, ne s’adapte pas bien au sol amazonien. L’arbre ne tarde pas à être remplacé par l’eucalyptus et le pin, qui retirent tout avantage compétitif à Jari. La culture du riz – “aux engrais chimiques, au lieu de mettre à profit la richesse des plaines alluviales de l’Amazone”, critique encore le journaliste – est un échec total. Aux portes du complexe, la catastrophe sociale menace : les migrants démunis, attirés par la promesse d’un Eldorado, ne cessent d’affluer et s’entassent, dans des conditions déplorables, dans la favela dite du Beiradão.

Chronique d’un meurtre annoncé:post

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Rodrigo Rosenberg savait qu’il était sur le point de mourir. Ce n’était pas qu’il se trouvait au seuil de la vieillesse – il n’avait que quarante-huit ans. Ce n’était pas non plus qu’on lui avait trouvé une maladie mortelle : cet inconditionnel du vélo jouissait d’une santé parfaite. En fait, Rosenberg, avocat d’affaires extrêmement respecté au Guatemala, était certain qu’on allait l’assassiner.

Garcia Marquez va chez le dentiste:post

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Le docteur Gazabón ouvrit la porte de sa clinique dentaire de Carthagène des Indes et il découvrit, dans sa salle d’attente, García Márquez aussi seul qu’un cosmonaute. Il était, ce 11 février 1991, 14 h 30 et le patient était arrivé, ponctuel, à son premier rendez-vous. “En sept ans, il n’est jamais arrivé en retard”, me rapporterait, bien plus tard, l’odontologiste. Sur la table, au centre, on trouvait la littérature habituelle d’un cabinet de dentiste : quelques revues pour bâiller d’attente et commencer à s’assoupir sous les effets sédatifs d’une musique de fond. Derrière ses lunettes de lecteur de dentitions, Jaime Gazabón paraissait très éveillé. La bonhomie propre aux gens de la côte en Colombie transpire de tout son être et ses moustaches viennent rivaliser avec son sourire symétrique. García Márquez – me racontait-il en 1999 –, était arrivé au premier rendez-vous en voiture avec chauffeur. Le quartier au nom parfait pour un dentiste : Bocagrande (“Grande bouche”).

Torero sans couilles:post

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Mais en ce 13 juin, la vidéo de sa fuite fait le tour du monde via Youtube. Plus de cent mille personnes ont cliqué sur ce film de soixante-dix secondes où l’on voit un jeune torero déguerpir à petits pas sur le sable, contraint par l’étroitesse de son costume, laisser tomber son épée et sa cape rouge de combat avant de se jeter la tête la première derrière le mur de protection salvateur. On voit aussi le taureau resté seul sur le terrain, perplexe ; il ne sait pas que le combat est fini. Des reporters tendent immédiatement leurs micros en direction du torero, et il dit cette phrase qu’il regrettera ensuite : “Me faltaron huevos” (“J’ai pas eu assez de couilles”), “Esto no es lo mio” (“C’est tout simplement pas mon truc”). Puis il retourne sur la piste déserte et se coupe la coleta, la tresse postiche sur la nuque qu’arborent tous les toreros, symbole de leur corps de métier, un geste que le torero n’accomplit normalement qu’à son départ à la retraite. Cristian montre au public la petite touffe de cheveux tressés, la tend un instant vers le ciel comme autrefois sous les acclamations des aficionados il présentait les oreilles coupées du taureau vaincu qui lui avaient été remises en récompense d’un combat particulièrement réussi. Ce jour-là, il se fait huer pour sa lâcheté face au taureau.

Le Cartel de Sinaloa:post

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C’était gravé dans la tête de tous ceux qui travaillaient pour Carlos “Charlie” Cuevas. Ses convoyeurs, ses guetteurs, ses distributeurs, les types à la planque – tous étaient au courant. La cargaison ne devait jamais être perdue de vue pendant le transport. Cuevas venait juste d’envoyer une équipe de sept hommes au poste frontière de Calexico, en Californie. Ils convoyaient une cargaison de cocaïne, dissimulée dans une Honda Accord bleue de 2003, à l’intérieur d’un compartiment fait sur mesure. La voiture se trouvait toujours côté mexicain, coincée dans une des dix files de véhicules avançant au compte-gouttes vers la douane américaine et le poste de contrôle de la protection des frontières. Des mendiants amputés remontaient la file, des hommes avec des chapeaux à larges bords colportaient babioles, “tamales” et churros.
Un guetteur signalait la progression de la cargaison depuis une voiture placée dans une des files à proximité. Cuevas, jonglant avec les téléphones portables, demandait à être constamment tenu informé. En cas de problème, son patron, à Sinaloa, au Mexique, exigerait des explications.

6 juin 1958 Caracas sans eau:post

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Après avoir écouté à la radio les informations de 7 heures, Samuel Burkart, un ingénieur allemand qui vivait seul dans un penthouse de l’avenue Caracas, dans le quartier de San Bernardino, descendit à l’épicerie du coin acheter une bouteille d’eau minérale pour pouvoir se raser. C’était le 6 juin 1958. Contrairement à ce qui se passait depuis son arrivée dix ans plus tôt, ce lundi matin semblait mortellement tranquille. Aucun bruit de voiture, aucune pétarade de mobylette ne parvenaient de l’avenue Urdaneta toute proche. Caracas avait l’air d’ une ville fantôme. La chaleur accablante des derniers jours s’était atténuée mais dans le ciel d’un bleu intense, pas un seul nuage ne bougeait. Dans les jardins des villas, sur le parterre de la place de l’étoile, les arbustes étaient morts. Le long des avenues, les arbres habituellement couverts de fleurs rouges et jaunes à cette époque de l’année dressaient leurs branches nues vers le ciel.

Senna le Brésilien:post

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La brume matinale ne tarderait pas à laisser place à un ciel immaculé. C’était l’annonce d’une belle journée de fin d’été. Tout à mon enthousiasme juvénile à l’idée d’assister à un championnat du monde de karting, j’étais loin de me douter que je m’acheminais vers une rencontre qui allait être déterminante pour ma vie d’homme et de journaliste. Une rencontre qui, ce matin de septembre 1978 au Mans, se matérialiserait sous la forme d’une silhouette vêtue de noir portant un casque jaune se découpant au milieu d’une meute de pilotes venus de tous les continents. Son style de pilotage révélait une osmose peu commune entre l’homme et sa frêle machine. Un tel flirt avec les lois de l’équilibre et un tel engagement physique ne pouvaient que susciter la curiosité et l’envie d’en savoir plus sur cet anonyme n° 70, identifié sur le programme comme étant un Brésilien de dix-huit ans ayant pour nom Ayrton da Silva et dont c’était la première apparition en Europe.

Une visite à son stand s’imposait. Alors que je m’attendais à découvrir un costaud à la mine décidée, je tombais sur un jeune homme à la silhouette frêle, aux traits fins, presque féminins. Son regard sombre, aux aguets, laissait transparaître quelque chose qui ressemblait à de la timidité ou peut-être à de la méfiance. À l’époque, celui qui allait devenir un pilote de légende ne maîtrisait pas trop l’anglais et ne parlait, outre le brésilien bien sûr, que l’italien, la langue d’origine de sa mère, Neide, mais aussi celle de son équipe de mécanos. C’est donc dans une sorte d’espéranto italo-britannique que notre premier échange eut lieu. Je crois pouvoir dire qu’entre nous est née ce jour-là une certaine complicité qui devait durer plus de quinze ans.

Dream a lithium dream:post

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Il y a, dans le sud de la Bolivie, une montagne baptisée Cerro Ricco – “montagne opulente”. C’est un rocher pâle et chauve, traversé d’étroites routes de terre qui s’entrecroisent comme des lacets. Plus de quatre mille tunnels miniers en ont si minutieusement grignoté l’intérieur que la montagne court le risque de s’effondrer. Les taudis agglomérés autour de sa base se répandent jusque dans la ville ancienne de Potosí, classée au patrimoine mondial de l’humanité. Evo Morales, président de la Bolivie, m’a dit récemment que ses compatriotes et lui-même considèrent Potosí comme un symbole de “pillage, d’exploitation, et d’humiliation”. Cette ville représente une Bolivie qui aurait pu exister : un pays qui aurait capitalisé sur son extraordinaire richesse en minerais pour devenir une grande puissance industrielle. Cette Bolivie-là aurait facilement pu s’imaginer en 1611, quand Potosí était l’une des plus grandes villes du monde, avec cent quatre-vingt mille habitants – à peu près comme Londres à la même époque. Bien que Potosí ait connu des débuts de ville minière, avec les bars et les salles de jeux qui accompagnent les hommes aux frontières, elle ne tarda pas à s’enrichir d’églises et de théâtres somptueux et d’une bonne douzaine d’académies de danse. Du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe, l’argent produit dans le Nouveau Monde provenait pour moitié de Cerro Rico. L’historien Carlos Mesa, qui fut président de la Bolivie de 2003 à 2005, m’a dit : “Pendant toute la durée de l’Empire espagnol, on disait : ‘C’est un vrai Potosí’ pour évoquer la chance ou la richesse.” Aujourd’hui, Potosí est un des endroits les plus pauvres d’un pays qui a longtemps été un des plus pauvres d’Amérique latine.

Elle lui demanda combien de temps il restait avant la fin du monde:post

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Ce qu’ils firent cet été-là fut de parcourir en Cadillac les plages des régions côtières du centre. Virditti inclinait le siège du conducteur, fermait les yeux et fredonnait les lèvres closes de vieilles chansons qu’une femme lui avait enregistrées sur une cassette des années plus tôt. “Memories are made of these”, entendait-on. Il tirait de temps à autre sur sa cigarette ; seul geste permettant, à qui l’aurait observé depuis l’extérieur, de savoir qu’il ne dormait pas. Très précisément depuis l’autre extrémité de la plage ; j’étais là, sur ma serviette, étendu sur le ventre, avec des jumelles.

Une saison de polo:post

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Les bonnes juments n’oublient jamais. Une fois qu’elles ont tout appris : à galoper sur le bon pied, à s’arrêter à temps, à être pleines d’allant mais néanmoins obéissantes, à se laisser monter avec élégance… Les années ont beau passer, elles savent se comporter comme il se doit. C’est pourquoi, dans l’univers du polo, les bonnes juments sont sacrées. Absolument sacrées.

On les bichonne, on les coiffe comme des courtisanes mais on ne les laisse pas s’accoupler, surtout pas au petit bonheur. Chaque mois, avec une ponctualité toute biologique, un groupe d’experts leur ponctionne un ovule qui est ensuite fécondé in vitro avec les spermatozoïdes d’un étalon. L’ embryon, lui non plus, ne leur revient pas. Il est implanté dans un ventre de substitution chargé de mener à bien la gestation. À ce stade, la valeur de l’embryon atteint déjà cinquante mille dollars.

De sang chaud:post

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Je voudrais dire au lecteur de s’arrêter ici, de ne pas poursuivre. De ne pas regarder ces photos. Je voudrais dire au lecteur de ne pas ramener ce journal chez lui s’il a des enfants, de ne pas le laisser traîner s’il a une fiancée, un compagnon, un mari ou une femme qui n’a pas l’estomac bien accroché ou qui est incapable de supporter certaines images. Je voudrais dire au lecteur de dissimuler les pages, de les garder cachées. Je voudrais dire au lecteur qui risquerait de montrer ce journal à son voisin dans le train, le métro, le bus, de ne pas l’ouvrir. Je voudrais lui conseiller tout cela, mais je ne le fais pas. Au contraire, je sais parfaitement qu’en écrivant ces mots, je l’incite à les regarder, ces photos, peut-être même avec une plus grande attention. Mais je ne peux faire autrement que de l’avertir : elles le dérangeront, et non parce qu’elles montrent l’impact des balles et le martyr des corps. Ce qu’elles racontent ne s’arrête pas là. Ces photos décrivent un monde et ses rouages.

La musique est une offrande:post

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L’automne parisien s’était paré d’une brume hivernale. Au milieu du froid, Sonia Bazanta marchait dans un quartier morne du XIe arrondissement. Elle était habillée d’un pantalon noir léger, d’une veste polaire et d’un béret en daim sous lequel elle cachait sa chevelure. De son écharpe colorée, elle se couvrait le visage pour préserver la voix de Totó la Momposina :

“Qu’est-ce qui différencie Sonia et Totó ?, lui demandais-je.

— Nous sommes une seule et même personne, répondit-elle, aucune différence, si ce n’est que Sonia Bazanta m’est utile pour mon passeport, pour sortir du pays.”

Sonia Bazanta était partie de Bogotá, où elle vit, pour se rendre à Paris transformée en Totó la Momposina, chanteuse folklorique la plus reconnue de son pays, afin d’inaugurer le festival Villes des musiques du monde.

Ce jeudi 10 octobre 2013, Totó foulait de nouveau les rues qu’elle avait parcourues dans les années 1980, quand, à quarante ans, elle était venue à Paris pour étudier l’histoire de la danse à l’université de la Sorbonne.

69 jours:post

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La mine de San José se trouve à l’intérieur d’une montagne arrondie, rocheuse et aride du désert d’Atacama, au Chili. Environ une fois tous les douze ans, une tempête balaye le désert et déverse des torrents de pluie. La poussière se transforme alors en une boue aussi épaisse que du ciment frais.

Charles Darwin a brièvement traversé cette partie de l’Atacama en 1835. Dans son journal, il décrit le désert comme “un obstacle bien pire que l’océan le plus déchaîné”.

Au cœur de ce désert, les mineurs sont la seule forme de vie palpable. En bus ou en camion, ils voyagent vers les montagnes où est enfoui de l’or, du cuivre et du fer. Ils viennent de tout le Chili.

Peur sur la ville:post

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Pendant une semaine en mai 2006, la ville de São Paulo a manqué de se transformer en zone de non-droit, au mépris de l’État et de la nation. Présent aux quatre coins du globe, ce type de zones, à la fois sauvages et densément peuplées, font l’objet d’un déni collectif 
et, par conséquent, sont rarement étudiées. Loin de signifier un retour au Moyen Âge, elles témoignent d’une évolution vers une forme inédite – compagnes de la mondialisation et d’un nouvel ordre qui pourrait à l’avenir rendre obsolètes les frontières nationales. Ce phénomène est déjà visible dans les narco-États que sont la Colombie et le Mexique, le long des lignes de fracture territoriale en Afrique, dans certaines régions du Pakistan et de l’Afghanistan ainsi que dans une bonne partie de l’Irak. Mais il se développe aussi souterrainement dans des pays où l’État semble fort et où le gouvernement a la pleine confiance des citoyens. Le Brésil est l’un de ces pays, et São Paulo n’a rien d’une ville instable. En dépit de sa violence et de ses rues défoncées, il s’agit de la plus grande métropole d’Amérique du Sud. Avec ses vingt millions d’habitants, elle officie comme siège financier et capitale administrative de l’État le plus puissant du Brésil.