Touche pas à ma ville

traducteur
Isabelle Maillet
illustrateur
Guy Shield
Touche pas à ma ville

Enfant de Boston, la capitale du Massachussetts dont il a fait le cadre récurrent de la plupart de ses romans, Dennis Lehane a été profondément ému en apprenant qu’un terrible attentat avait frappé sa ville, en avril dernier, à l’occasion du marathon annuel. Au volant de sa voiture, il a alors parcouru la ville, observant la réaction de ses concitoyens. Face à de tels actes, l’écrivain redoute une réponse inappropriée de la population. Car au bord de l’abîme la peur menace. À ses côtés sommeille la barbarie.

J’avais neuf ans en 1974 quand, au plus fort de la crise déclenchée par la politique de mixité raciale dans les écoles, mes parents et moi avons traversé South Boston en voiture pour rentrer à Dorchester, où nous habitions. Au niveau de West Broadway, nous nous sommes retrouvés coincés dans un embouteillage monstre, et, pare-chocs contre pare-chocs, nous avons progressé à une allure d’escargot au milieu d’un des rassemblements populaires les plus effrayants que j’aie jamais vus. Des effigies du juge Arthur Garrity, du sénateur Edward Kennedy et du maire Kevin White, accrochées aux réverbères, brûlaient un peu partout. Les flammes se reflétaient sur les vitres de la Chevy de mon père, à travers lesquelles je voyais défiler les visages d’une foule tellement déchaînée que la scène avait un caractère quasi médiéval.
Ce soir-là, la raison ne faisait pas recette dans West Broadway – pas plus que la compassion ni le désir de débattre de nos différences dans la nuance ou le respect de la complexité. L’heure n’était pas aux échanges civilisés, mais à la rage.

Messing With the Wrong City”, traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Maillet, a paru pour la première fois dans le New York Times Magazine le 17 avril 2013. © Dennis Lehane, 2013