Europe de l’Est

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Hackerville:post

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À trois heures de Bucarest, en Roumanie, la route nationale 7 entame tranquillement son ascension dans les contreforts des Alpes transsibériennes. Les prairies laissent place à des cahutes bringuebalantes tandis que dans les cours les poules se promènent et les vêtements sèchent suspendus à des cordes à linge. Pourtant, la présence du concessionnaire Mercedes signale très clairement que vous êtes arrivés à Râmnicu Vâlcea.

Les morts de ma cour:post

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Cette nuit-là, quand ils ont massacré les Juifs, c’était impossible de sortir, sinon on risquait une balle dans la tête, direct. Pépé a dit : “Ils s’en sont pris aux Kułaga. Ils doivent être en train de leur bousiller leurs ruches”, ça faisait un tel boucan. Mais on pouvait pas mettre le nez dehors. C’est seulement le lendemain matin qu’on a su ce qui c’était passé. La foule avait déjà commencé à s’agglutiner, parce que les gens passaient par là pour aller à l’église à Kiełczewice. Quelqu’un a demandé à ma mère qui était devant la maison : “Et vous, vous voulez pas voir les harengs ?” Parce qu’ils étaient alignés comme des harengs dans une boîte. Maman et pépé étaient effondrés. Je suis allée voir. Il y avait des morts par terre. On les avait déshabillés. Pas complètement, non, ils étaient en slip ou en caleçon long. Je ne suis pas restée longtemps, on m’a vite fait rentrer. Après, j’ai entendu dire que des gens étaient venus avec des petites pinces et qu’ils leur avaient retiré leurs dents en or. Il y en avait qui riaient de ces pinces.

Memento Mori:post

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J’avais cinq ans la première fois que ma grand-mère Parashkeva m’a emmené à un enterrement. Elle était maire d’un petit village du nord de la Bulgarie et il lui incombait de prononcer l’éloge funèbre de ses électeurs morts. À l’époque, les prêtres étaient bannis, avec leurs promesses marmonnées d’un monde meilleur (que pouvait-on rêver de mieux que la vie en République populaire de Bulgarie ?), si bien que ma grand-mère était devenue une sorte de prêtresse séculaire, une Périclès au féminin. Elle officiait aux mariages et aux enterrements.

Vers Prague, et retour:post

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Prague est l’une des villes de mon enfance. Je m’y suis rendu une fois à l’âge de six ans, en 1938. La terreur face à ce qui était sur le point d’advenir était partout palpable mais nous étions encore libres. Nous voyagions encore en première classe et mon père m’avait promis de m’acheter un train électrique à Prague.
Je me souviens du train de nuit que nous prîmes, mes parents et moi, de la délicate senteur de savon dans les toilettes, des couchettes longues et étroites et de la douce obscurité du mois de mai. J’ignorais encore, bien sûr, que ce voyage serait le dernier avec mes parents, que bientôt je serais seul, sans eux.

Les Fusillés:post

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À partir des années 1960, Ceauşescu s’attribua le titre de chasseur en chef des forêts roumaines ainsi que celui de commandant en chef des armées. Il s’arrogea des centaines de territoires de chasse – les plus riches en gros gibier – pour son usage personnel. Les gestionnaires de forêt au niveau des districts, les responsables de chasse qui travaillaient pour eux et les gardes-chasse qui rendaient compte aux responsables en vinrent à prendre conscience que tout animal de valeur évoluant dans leur périmètre entrait de fait dans la catégorie des proies que le Conducător aimait tirer. Ils se persuadèrent qu’encourager bassement sa soif de sang et sa cupidité paresseuse pour les trophées constituait un bon calcul politique. Les districts se battaient entre eux pour obtenir les visites de Ceauşescu, présentant comme des cibles faciles à ses luxueux fusils d’importation de gros ours et des cerfs colossaux.

Un tournage pris dans l’engrenage:post

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L es rumeurs commencèrent à filtrer hors d’Ukraine vers 2008. Un jeune réalisateur russe retranché dans la banlieue de Kharkov, une ville d’un million quatre cent mille habitants à l’est du pays, préparait… quelque chose. Un film, sans aucun doute, mais pas seulement. À en croire les on-dit, il s’agissait là du projet cinématographique le plus cher, compliqué et accaparant jamais entrepris.

Par flot régulier, d’anciens figurants et des assistants entre-temps licenciés décrivaient le tournage en des termes d’ordinaire réservés aux survivants des camps. Le réalisateur, Ilya Khrzhanovsky, était un fou qui payait les équipes en roubles, les forçait à porter des vêtements de l’époque stalinienne et à manger des conserves soviétiques. D’autres parlaient du projet comme d’une secte où toute personne impliquée travaillait gratuitement. Khrzhanovsky s’était emparé de tout Kharkov, disaient-ils, avait fermé l’aéroport. Non, non, insistaient les autres,
il s’agissait d’une expérience carcérale, filmée subrepticement, peut-être par des caméras cachées. Sur son blog, le critique de cinéma Stanislav Zelvensky écrivit qu’il s’imaginait un campement entouré de “têtes embrochées sur des pics”.