littérature

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Abitibi Canyon:post

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Quand mon petit-cousin Richard m’a dit qu’il venait arrêter Rémi pour complicité dans l’attentat au barrage d’Abitibi, j’ai tellement ri qu’il en a piqué un fard. Richard, c’est notre sergent de la police tribale : le costaud qu’on envoie quand une soirée trop arrosée tourne mal ; quand il y a du grabuge entre un mari violent et les frangins de l’épouse. S’il y a besoin d’un gros bras, Richard s’y colle : par chez nous, on le surnomme le Pacificateur. Mais qu’il vienne pour Rémi, l’un de son sang, ça n’avait pas de sens. Rémi est l’aîné des enfants-grenouilles : il ne sait même pas ce que c’est qu’un barrage, sans parler de le faire sauter.

Le romancier doit-il s’engager:post

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J’ai lu récemment sous une plume tout à fait honorable qu’il allait falloir réévaluer Faulkner. La raison : il n’était, “après tout, qu’un petit Blanc du Mississippi”. On laissait entendre que les lecteurs ne pouvaient désormais plus se fier à lui, à sa connaissance de son sujet – l’oeuvre de sa vie ! – : ses romans, ses nouvelles, toutes et tous enracinés dans ce qu’il appelait “my country” : “mon pays”. Pendant la majeure partie de sa vie, Faulkner s’est vu nier toute réelle analyse critique de son oeuvre, impartialement ignoré au Nord comme au Sud. En quarante ans, seule une poignée de journalistes littéraires a été capable d’évaluer son travail à sa juste valeur. Se souvenir de tout cela nous amènerait peut-être à sourire de ce journaliste comme d’un écolier tout frais émoulu.

Un certain sens du ridicule:post

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Pour Mason Hoffenberg et Joe Dughi

L’été de 1967, notre si bel été de l’Expo, je prenais un verre avec un vieil ami très cher à l’aéroport de Montréal en attendant mon vol pour Londres, quand l’ami en question m’annonça de but en blanc :

“Tu sais, j’aurai bientôt quarante ans.”

À l’époque, je n’en avais que trente-six et j’en étais fort aise.

“Merde ! ajouta-t-il en frappant son verre sur la table, indigné. C’est complètement ridicule ! Moi, quarante ans ? Mon père a quarante ans !”

Les Manifestants:post

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Ce samedi-là, aux alentours de vingt-trois heures, le médecin s’arrêta à nouveau à son cabinet. Il avait depuis peu pris l’habitude de se rendre chaque semaine au club, pour une partie de bridge. Mais ce soir, elle avait été interrompue pour la troisième fois, et ce n’est que maintenant qu’il rentrait de sa visite à Miss Marcia Pope. Grabataire, refusant tout traitement médical et en particulier les tranquillisants, elle avait une attaque tous les matins avant le petit-déjeuner et bizarrement souvent le samedi soir. Mais elle n’avait pas perdu la mémoire. Elle pouvait se distraire et réciter Shakespeare à profusion, l’“Arma virumque cano”, entre autres classiques. Plus Miss Marcia Pope récitait avec ardeur, plus son vieux visage prenait un air innocent. Ses traits rajeunissaient.

— Elle s’endormira normalement maintenant, je pense, avait-il dit à sa dame decompagnie, qui n’avait pas bougé de son fauteuil à bascule.

Ambitions:post

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Par une journée d’hiver, peu de temps avant que Jim évoque pour la première fois la chirurgie esthétique, elle reçut un coup de téléphone de la fille d’Antonia, qui vivait à Brooklyn. La fille et sa petite amie donnaient une fête pour la dernière soirée d’Hannukah, et elles espéraient que Betsy et Jim viendraient. C’était là une étrange invitation, étant donné la haine notoire de Jim pour les fêtes juives et la haine tout aussi notoire d’Antonia pour Jim – Betsy soupçonna que la fille, en les invitant, voulait en fait exaspérer Antonia –, mais il n’y avait pas grand danger que Jim dise “oui”. C’est en tout cas ce qu’elle pensait. Ce soir-là, quand il rentra du travail, il éclata de rire avant de dire : “Une fête d’Hannukah lesbienne ? Hé hé hé ! Vaut mieux pas que j’en parle à Hagstrom, sinon il va vouloir venir avec nous pour voir à quoi ça ressemble.”

Foutue guerre:post

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Holden Caulfield est l’éternel compagnon de l’auteur durant la plus grande partie de sa vie adulte. Les pages qu’il habite et dont Salinger écrit la première à environ vingt-cinq ans, juste avant qu’il ne prenne le bateau vers l’Europe en tant que sergent, lui sont si précieuses qu’il les garde sur lui pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Ces feuillets de L’ Attrape-cœurs prennent d’assaut les plages de Normandie, défilent dans les rues de Paris, assistent en maints endroits à la mort d’innombrables soldats et traversent les camps de concentration de l’Allemagne nazie.

Books versus cigarettes:post

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Cette idée qu’acheter des livres, ou même les lire, est un passe-temps dispendieux, au-dessus des moyens du quidam, est si répandue qu’elle mérite un examen détaillé.

Anna la Puttana:post

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Enfant, je n’arrivais pas à imaginer l’état d’âme d’un homme amoureux d’une femme-loutre. Comment se sentait-on face à un amour sans espoir, non en raison d’un refus, mais par la force même de la nature, parce que les choses étaient agencées de telle sorte que personne ne pouvait les changer ? J’éprouvais face à cette femme un sentiment comparable : attiré par elle, mais incapable de l’aimer.

There’s no business:post

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Manny Hyman était dans le showbusiness depuis l’âge de seize ans. Quarante ans de galère et même pas de quoi s’offrir une cuvette pour gerber dedans. ll opérait dans l’un des salons du Sunset Hotel. Le petit salon. Lui, Manny, incarnait “Le Comique”. Vegas avait changé. L’argent était parti vers Atlantic City, où tout était plus frais, plus neuf. Et puis, il y avait cette foutue récession. “La récession, leur disait Manny, c’est quand votre femme se tire avec le premier venu. La dépression, c’est quand le premier venu vous la ramène. Quelqu’un m’a ramené la mienne. Il y a sûrement un truc marrant là-dedans, si je trouve quoi, je vous le fais savoir…”

Manny était dans la loge, à téter une pinte de vodka. Il était assis devant la glace… cheveux battant en retraite… front luisant, nez piquant vers le bas, dévié sur la gauche… les yeux sombres et tristes…

Merde, pensa-t-il, je suppose que c’est dur pour tout le monde. On ralentit mais il faut continuer d’avancer. C’est ça ou alors se coucher sur les rails.

On frappa à la porte.

Les Bibliothécaires de Dieu:post

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Derrière les murs d’un brun grisâtre, dans des bunkers souterrains dont la température et l’humidité sont contrôlées, se trouvent les autres raisons pour lesquelles la Vat ne ressemble à aucune autre bibliothèque : ces collections qui font d’elle le plus grand trésor de textes fondateurs de la tradition occidentale.

La Famélique:post

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Au début, bien longtemps avant les femmes, il avait vécu dans une chambre. Il n’escomptait aucune amélioration de son sort. Il était fait pour vivre là : une fenêtre, une douche, une plaque de cuisson, un petit frigo calé dans les toilettes, et un placard bricolé pour ranger ses maigres possessions. Il existe une sorte de monotonie qui s’apparente à la méditation. Un matin, alors qu’il buvait son café, les yeux dans le vide, la lampe murale prit feu. Mauvaise installation électrique, songea-t-il calmement, et il éteignit sa cigarette. Il regarda les flammes grandir, l’abat-jour commencer à se gondoler puis se racornir. Le souvenir s’arrêtait là.

John Fante et les “Dix de Hollywood”:post

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En effet, la plupart des membres des “Dix de Hollywood” étaient à peu près aussi éloignés du commun des mortels et de ses centres d’intérêt que, disons, il était fort peu probable de voir Walt Disney devenir parachutiste. Ils possédaient de vastes demeures à Los Angeles, des domestiques et des gardiens, et un certain nombre exerçait une grande influence dans les studios locaux ; si bien que quiconque se montrait hostile à leur cause subissait souvent de “justes” châtiments – autrement dit : des coups bas.

Le Figuier et la Guêpe:post

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C’était l’année 1979 et je venais de commencer l’école primaire. Cet été-là, je fus témoin pour la première fois de ce qui plus tard deviendrait connu sous le nom d’iskokotsha, une mode qui, dans l’euphorie d’un Zimbabwe fraîchement indépendant, entraînerait l’épicentre mouvant de la danse populaire à serpenter résolument, et de façon séduisante, vers le haut du corps, des pieds vers les hanches – une pantomime sexuelle aux mouvements outrageusement suggestifs qui passionnerait notre jeune nation pendant toute la décennie à venir.

Croque-Fruits:post

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Dans une zone qui n’a de libre que le nom, lui et son frère Lucien fondent la coopérative du Fruit mordoré, qui sera pendant près de deux ans, au plus sombre de la guerre, une planche de salut et un merveilleux laboratoire social. Les deux frères, refusant l’apathie, répondront aux aléas de la guerre par une solution pragmatique et toute poétique. Raconter l’histoire de la coopérative Croque-Fruits, c’est faire la lumière sur une aventure autant culturelle que politique et sociale, procéder, par travelling, à la traversée du Paris surréaliste des années 1930 jusqu’aux réseaux de Résistance en passant par la Gestapo lyonnaise.

Hommage à Hemingway:post

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Il s’en tint là, en espérant que ses élèves réfléchiraient aux conjectures que nous faisons machinalement sur les gens – et même à la possibilité que ces deux-là aient été des touristes heureusement mariés, et que le mari se fût toujours habillé et eût toujours porté sa barbe comme ça. Il espérait aussi qu’ils réfléchiraient à l’influence de la vie sur l’art, et de l’art sur la vie. Et s’ils avaient posé la question, il aurait répondu que, pour lui, le Hemingway romancier était comme un athlète dopé aux stéroïdes.

Garcia Marquez va chez le dentiste:post

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Le docteur Gazabón ouvrit la porte de sa clinique dentaire de Carthagène des Indes et il découvrit, dans sa salle d’attente, García Márquez aussi seul qu’un cosmonaute. Il était, ce 11 février 1991, 14 h 30 et le patient était arrivé, ponctuel, à son premier rendez-vous. “En sept ans, il n’est jamais arrivé en retard”, me rapporterait, bien plus tard, l’odontologiste. Sur la table, au centre, on trouvait la littérature habituelle d’un cabinet de dentiste : quelques revues pour bâiller d’attente et commencer à s’assoupir sous les effets sédatifs d’une musique de fond. Derrière ses lunettes de lecteur de dentitions, Jaime Gazabón paraissait très éveillé. La bonhomie propre aux gens de la côte en Colombie transpire de tout son être et ses moustaches viennent rivaliser avec son sourire symétrique. García Márquez – me racontait-il en 1999 –, était arrivé au premier rendez-vous en voiture avec chauffeur. Le quartier au nom parfait pour un dentiste : Bocagrande (“Grande bouche”).

Tyrannosaurus Sex:post

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J’étais étendu sur mon lit un vendredi soir, terrassé par l’angoisse, quand j’ai reçu le coup de fil d’un ami m’invitant à une fête.

“Ça te dit ? m’a demandé Max. Y aura plein de meufs et de gnôle.

– Je sais pas. C’est chez qui ?”

J’ai gratté mon menton hérissé d’une barbe de plusieurs jours. Est-ce que ça valait le coup d’aller traîner mon cul là-bas ? Une canette en verre posée en équilibre sur la poitrine, je fixais le plafond, espérant trouver la réponse dans les taches d’humidité. Le vacarme de la ville montait par la grande fenêtre ouverte qui donnait sur un mur de brique.

Les Fantômes de Lexington:post

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Au cours des deux ans que j’ai eu l’occasion de passer à Cambridge, dans le Massachusetts, j’ai fait la connaissance d’un architecte : bel homme, la cinquantaine, cheveux poivre et sel. Pas très grand, mais avec une belle musculature : il aimait nager, et allait à la piscine tous les jours. Il jouait au tennis aussi, de temps en temps. Disons qu’il s’appelait Casey. Casey, donc, était célibataire et partageait une vieille demeure de Lexington, dans la banlieue de Boston, avec un accordeur de piano taciturne, au teint maladif, du nom de Jeremy, qui devait avoir dans les trente-cinq ans. Jeremy était grand, souple et élancé comme un saule, les cheveux légèrement clairsemés.

Faux Paris:post

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Quelle aurait été, par exemple, la vision d’un pilote allemand en 1918 ? Par une nuit de pleine lune, à haute altitude, il aurait sans doute suivi, depuis ses positions au nord de la Picardie, le bandeau des routes ou des lignes de chemin de fer le conduisant vers la capitale française, puis, croyant survoler la zone, il aurait tenté d’identifier la Seine étincelante et sa courbe caractéristique qui scinde la ville en deux. Dans les ténèbres de la terre, il aurait ensuite cherché à repérer ses cibles potentielles (gares, usines, monuments) à partir des taches de lumière signalant la grande ville et ses principaux édifices. Peut-être se serait-il alors laissé prendre au subterfuge de Jacopozzi, et aurait-il largué ses bombes sur les champs du val d’Oise à vingt kilomètres de Paris ? On peut également imaginer que, sur le chemin du retour, il aurait repéré une autre grande ville semblable à la première laissant apparaître le doute dans son esprit. Dans la fraîcheur piquante de l’altitude, il aurait ressenti soudainement le coup de chaud provoqué par son ahurissement. Pouvait-il y avoir deux Paris ? Quelle était cette physionomie urbaine qui, en bas, comme le dessin d’un monstre gigantesque, surgissait du tapis charbonneux de la terre ?

Le Roman sanglant de Joseph Vacher:post

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Vacher, malgré ces aimables prémices, fut néanmoins nommé caporal. On raconte qu’il faisait respecter la discipline à coups de poing et que même un certain jour, il faillit étrangler l’un de ses subordonnés fautif. Aux yeux de tous, Vacher passait pour un fou mêlant à des idées de persécution un délire vaniteux assez ridicule : il aimait en effet à s’arracher devant témoins les cheveux et les poils des bras pour montrer combien il était insensible à la douleur.

Continuant ainsi sa carrière, menaçant les uns, manquant à plusieurs reprises de tuer ses camarades à coups de rasoir et tombant parfois dans des crises de stupeur d’où il ne sortait que pour crier “comme jamais, dira l’adjudant Griffoult, je n’ai entendu homme crier”. Vacher ne manqua pas de réussir et fut brillamment nommé sergent.

6 juin 1958 Caracas sans eau:post

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Après avoir écouté à la radio les informations de 7 heures, Samuel Burkart, un ingénieur allemand qui vivait seul dans un penthouse de l’avenue Caracas, dans le quartier de San Bernardino, descendit à l’épicerie du coin acheter une bouteille d’eau minérale pour pouvoir se raser. C’était le 6 juin 1958. Contrairement à ce qui se passait depuis son arrivée dix ans plus tôt, ce lundi matin semblait mortellement tranquille. Aucun bruit de voiture, aucune pétarade de mobylette ne parvenaient de l’avenue Urdaneta toute proche. Caracas avait l’air d’ une ville fantôme. La chaleur accablante des derniers jours s’était atténuée mais dans le ciel d’un bleu intense, pas un seul nuage ne bougeait. Dans les jardins des villas, sur le parterre de la place de l’étoile, les arbustes étaient morts. Le long des avenues, les arbres habituellement couverts de fleurs rouges et jaunes à cette époque de l’année dressaient leurs branches nues vers le ciel.

Elle lui demanda combien de temps il restait avant la fin du monde:post

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Ce qu’ils firent cet été-là fut de parcourir en Cadillac les plages des régions côtières du centre. Virditti inclinait le siège du conducteur, fermait les yeux et fredonnait les lèvres closes de vieilles chansons qu’une femme lui avait enregistrées sur une cassette des années plus tôt. “Memories are made of these”, entendait-on. Il tirait de temps à autre sur sa cigarette ; seul geste permettant, à qui l’aurait observé depuis l’extérieur, de savoir qu’il ne dormait pas. Très précisément depuis l’autre extrémité de la plage ; j’étais là, sur ma serviette, étendu sur le ventre, avec des jumelles.

Vers Prague, et retour:post

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Prague est l’une des villes de mon enfance. Je m’y suis rendu une fois à l’âge de six ans, en 1938. La terreur face à ce qui était sur le point d’advenir était partout palpable mais nous étions encore libres. Nous voyagions encore en première classe et mon père m’avait promis de m’acheter un train électrique à Prague.
Je me souviens du train de nuit que nous prîmes, mes parents et moi, de la délicate senteur de savon dans les toilettes, des couchettes longues et étroites et de la douce obscurité du mois de mai. J’ignorais encore, bien sûr, que ce voyage serait le dernier avec mes parents, que bientôt je serais seul, sans eux.

Adieu à tout ca:post

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Rétrospectivement, il me semble que cette époque-là, quand je ne connaissais pas encore le nom de tous les ponts, fut plus heureuse que la suivante, mais peut-être comprendrez-vous ce que je veux dire au fur et à mesure. Ce que je veux vous raconter, c’est notamment ce que c’est d’être jeune à New York, comment six mois peuvent devenir huit ans avec la facilité trompeuse d’un fondu enchaîné, car c’est ainsi que m’apparaissent aujourd’hui ces années-là, en une longue séquence de fondus enchaînés sentimentaux et de vieux tours de passe-passe de cinéma – les fontaines du Seagram Building se fondent en flocons de neige, j’entre par une porte à tambour à vingt ans et j’en ressors beaucoup plus vieille et dans une rue différente. Mais surtout, ce que je veux vous expliquer, et au passage m’expliquer à moi-même peut-être, c’est pourquoi je ne vis plus à New York. On dit souvent que New York, c’est une ville réservée aux très riches et aux très pauvres. On dit moins souvent que New York est aussi, du moins pour ceux d’entre nous qui venaient d’ailleurs, une ville réservée aux très jeunes.

Le Cercle des espions disparus:post

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C’est un club fermé, sans enseigne ni statuts. Il est réservé aux écrivains et aux espions, aux espions-écrivains et vice versa. Ses créateurs voulaient lui donner le nom d’un grand homme de lettres qui fut aussi un homme d’affaires prospère. Ce sera Caron, comme Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), l’insolent touche-à-tout du siècle des Lumières. Au cercle Caron, on aime à fumer le cigare, à bien boire et à bien manger, avec la “sainte mission de toujours refaire le monde” au prix d’une langue “sévère” et d’un “message politique et humaniste”, dixit le site Internet.

En descendant Broad Street:post

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Lorsque je suis arrivé ici, au Libéria, en 1973, de retour de mes études en Angleterre, toutes ces maisons de tôle n’existaient pas. La maison où on pleure là-haut, celle-là était là. Le troisième toit qu’on voit derrière était là aussi. Il n’y avait rien d’autre. Je me souviens de la première chose que j’ai faite : j’ai pris mon cousin avec moi et nous avons descendu cette rue. Broad Street. Tu vois, j’avais tout le chemin et toute la vie devant moi. Et cent dollars en poche.

Merci pour le feu:post

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Mrs Hanson était une jolie femme à la quarantaine un peu fanée qui vendait des corsets et des gaines, en représentation hors de Chicago. Durant de nombreuses années, son secteur avait balayé Toledo, Lima, Springfield, Colombus, Indianapolis, et Fort Wayne, et son transfert dans le district Iowa-Kansas-Missouri valait une promotion, car son entreprise se trouvait plus solidement implantée à l’ouest de l’Ohio.

À l’est, elle bavardait volontiers avec sa clientèle et, à la conclusion d’une affaire, il n’était pas rare qu’elle se vît offrir un verre ou une cigarette dans le bureau du responsable des achats. Mais elle découvrit bientôt qu’il en allait autrement dans son nouveau district.

Les ‘Tos:post

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Au cours des récits que je fis à mes amis de divers épisodes concernant mes voyages en mer, j’eus parfois l’occasion de mentionner les ‘Tos, ce peuple singulier, soit en tant que connaissances, soit en tant que compagnons d’équipage. Les allusions se faisaient de façon fort naturelle et innocente. Par exemple, je disais “Les deux ‘Tos”, comme l’on dirait “Les deux Hollandais” ou “Les deux Indiens”. En fait, étant moi-même si familier avec les ‘Tos, il me semblait qu’il devait en être de même pour tout le monde. Mais loin de là. Mes auditeurs ouvraient grand les yeux, l’air de dire “Que diable peut bien être un ‘Tos ?” Pour les éclairer, je devais m’interrompre souvent, ce qui n’allait pas sans nuire au bon déroulement de mes récits. C’est pour remédier audit désagrément qu’un ami me fit valoir la pertinence d’écrire quelque compte-rendu sur les ‘Tos et de le faire publier.

Lettre ouverte à Wikipédia:post

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Cher(e) Wikipédia,

Je suis Philip Roth. J’ai récemment eu des raisons de lire pour la première fois l’entrée de Wikipédia portant sur mon roman intitulé La Tache. Cette entrée comporte une affirmation inexacte que j’aimerais vous demander de retirer. Cet élément est parvenu à Wikipédia non depuis la sphère de la véracité mais depuis celle du bavardage des commères du milieu littéraire – il n’y a dedans aucune vérité.

Cependant, il y a peu de temps, lorsque j’ai sollicité la suppression de cette erreur et de deux autres auprès d’un représentant officiel de Wikipédia, celui-ci s’est vu répondre par “l’administrateur de Wikipédia en anglais” – dans une lettre datée du 25 août à lui adressée – que moi, Roth, je n’étais pas une source crédible : “Je comprends que, selon vous, l’auteur est l’autorité suprême en ce qui concerne son propre travail, écrit l’administrateur de Wikipédia, mais il nous faut des sources secondaires.”

Kolossoff:post

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Je fumai en scrutant mes yeux dans le miroir pour voir le reflet de mon reflet dans le brillant de mes pupilles. Ce reflet dans le reflet sera plus tard la musique qui sortira de mes doigts. La transformation opérait. À quelques minutes de la performance, je n’étais déjà plus le même Kolossoff. Je m’étais préparé à cette mutation depuis le petit matin. Je n’avais parlé à personne, je n’avais pas vraiment vécu.

Une bonne tasse de thé:post

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Si, dans le premier livre de cuisine venu, vous cherchez la rubrique “thé”, vous ne la trouverez sans doute pas. Au mieux, vous découvrirez quelques instructions sommaires qui n’énonceront aucune méthode quant à plusieurs des points les plus importants.

La Maladie du rire:post

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C’était, je crois, au cours d’une courte pause entre deux opérations bénignes. J’étais adossé près d’une lucarne en train de contempler rêveusement un marabout perché au faîte du grand jujubier qui recouvrait la cour de son ombre philanthrope lorsque l’infirmière en chef vint m’avertir d’un problème. Elle refusa de m’en dire plus – ne sachant peut-être pas ce qu’il y avait de plus à dire que le mot problème – et me conduisit en toute hâte dans le hall d’accueil qui, habituellement désert, grouillait d’une agitation novice. Mes sens s’aiguisèrent comme ils n’en avaient plus l’habitude depuis des semaines, et ma contenance apathique, qui s’était progressivement accoutumée à la douce vacuité du district, changea en un instant.

La Chandelle de suif:post

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Ça bouillait et ça bouillonnait, tandis que le feu flambait sous le chaudron – c’était le berceau de la chandelle de suif – et la chandelle s’écoulait de ce berceau douillet, sa forme était parfaite, elle était d’une seule pièce, svelte et d’un blanc éclatant. Elle était ainsi faite que tous ceux qui la voyaient étaient persuadés qu’elle renfermait la promesse d’un avenir lumineux et brillant, et ces promesses que tout le monde pouvait voir, elle allait vraiment les tenir et les réaliser.

Qui a tué Gérard Lebovici ?:post

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Paris, 7 mars 1984 – M. Gérard Lebovici, cinquante et un ans, un des plus importants producteurs et distributeurs de films français, a été découvert tué de deux balles de .22 Long Rifle dans la tête, tôt mercredi matin dans un parking public (41, avenue Foch) à Paris 16e, près des Champs Elysées. M. Lebovici avait disparu depuis lundi. Selon ses proches il avait quitté son bureau de la rue Kepler (16e) lundi vers 18 h 55. Auparavant, il avait décommandé, par téléphone, “sur un ton courtois” un rendez-vous auquel il devait se rendre à 19 heures. Selon ses collaborateurs, il a quitté son bureau “très calmement et normalement, en disant à demain, précisant même quelques points du programme”.

Quel monde:post

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Chers Wendell,

Larry, Ed, Bob

& Gurney,

Amis, j’ai un terrible poids sur la conscience. Je ressentais le besoin d’écrire et de parler d’une chose à quelqu’un et, comme je l’ai dit il y a longtemps à Larry, vous êtes les meilleurs confidents que je connaisse. Aussi, soyez un petit peu indulgents avec moi ; je ne suis que souffrance. Nous avons confectionné le cercueil nous-mêmes (George Walker, surtout). Zane, les amis de Jed et les membres de la confrérie ont creusé la fosse dans un joli endroit, entre le poulailler et la mare. Page a trouvé la pierre et l’a gravée. Tu aurais été fier, Wendell, en particulier du cercueil – en pin clair, bordé et orné de séquoia. Les poignées en corde de chanvre épaisse. Et toi, Ed, tu aurais apprécié le tissu de revêtement. C’était une pièce de brocart tibétain, qu’Owsley avait donnée à la Mountain Girl il y a quinze ans, cousue d’or et d’argent, aux motifs brun roux représentant des phœnix jaillissant des flammes.

Quatre centimètres de gloire:post

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De fines volutes de fumée s’échappaient lentement par la porte ouverte du bâtiment et par une fenêtre au premier, ouverte elle aussi, avant de se dissiper dans l’air. Au-dessus, au second étage, le visage d’un enfant – très jeune et apparemment juché sur la pointe des pieds – était plaqué contre la vitre. Ses traits trahissaient la perplexité, mais pas la peur. L’homme à gauche d’Earl Parish l’aperçut en premier.

“Hé ! cria-t-il en le montrant du doigt, y a un gosse là-haut !”

Les autres levèrent le nez et répétèrent : “Y a un gosse là-haut.”

“On a donné l’alarme ? demanda un quidam qui venait de surgir sur les lieux.

— Oui, répondirent en chœur plusieurs voix, et l’une d’elles d’ajouter : les camions de pompiers devraient arriver d’une minute à l’autre.”

L’homme qui avait repéré l’enfant fit l’éloge de sa propre découverte.

“Il est drôlement bien ce gamin, il pleure pas, ni rien.

— Si ça se trouve, il se rend même pas compte de la situation.

— Les pompiers seront là dans une seconde. Ça servirait à rien d’essayer
d’intervenir. Avec leur échelle et tout le bazar, ils le sortiront de là bien
plus vite que nous.”

Les Dimensions d’une ombre:post

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Miss Abelhart sortit seule de l’église. Son pas vif claquait, net et assuré, sur le ciment des marches – pas le cliquetis des hauts talons, mais quelque chose de plus dur et de plus lourd.

L’homme qui voulair réécrire Nabokov:post

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C’est un après-midi de décembre à New York. Le ciel se remplit d’un bleu limpide et une fine pellicule blanche recouvre la chaussée.

Les Garçons du quartier:post

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On jouait à un jeu. Peut-être pas un jeu à proprement parler. Est-ce qu’une balle est un jeu ? Non, une balle n’est pas un jeu. Mais on peut en faire un jeu, pas vrai ?

Diem Perdidi:post

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Elle se rappelle son nom. Elle se rappelle le nom du Président. Le nom du chien du Président. Elle se rappelle dans quelle ville elle vit. Dans quelle rue. Dans quelle maison. Celle avec le gros olivier, dans le tournant.

Marguerite & François:post

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Marguerite Duras : Mais quand on ne te fait pas l’école, quand ce sont des histoires qu’on vous raconte ?

François : Des histoires, alors là c’est pas pareil. Je crois qu’on… qu’on apprend les opérations à l’école, on apprend les dictées, on apprend les dessins, on apprend la pâte à modeler et puis écrire. Et pas faire des taches ! Faut être bon en soin.

L’Alphabet de flammes:post

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On partit un jour d’école, ne voulant pas qu’Esther nous voie. Dans mon sac, préparé lorsque ma femme, Claire, se fut enfin effondrée de sommeil contre la porte de la chambre verrouillée à double tour alors que le jour se levait, j’avais glissé des jumelles, du tissu de réduction acoustique, et suffisamment de mousse laminée pour couvrir deux adultes.

Le jour qui a suivi la mort de Superman:post

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À bout de nerfs, secoué de tremblements, il arpentait frénétiquement le fouillis de son bureau au-dessus de la grange, remuant livres, bouteilles, toiles d’araignée et nids de guêpes maçonnes, tâchant de se rappeler où il avait bien pu poser ses lunettes teintées.

Ses lunettes spéciales. Il les lui fallait impérativement. Depuis ce matin, il repoussait l’excursion jusqu’au fossé à l’autre bout du champ parce qu’une infâme fumée picotant les yeux envahissait l’atmosphère. Dès les premiers balbutiements de l’aube, bien avant que ses yeux le démangent et que la douleur lui vrille les sinus, et même encore avant la confrontation qui venait d’avoir lieu avec ces deux autostoppeurs en bas dans le jardin, il avait compris que ce jour de tristesse serait insupportable sans la protection d’une armure lui permettant de voir la vie en rose. Ces fameuses besicles, s’était-il répété, mettraient sans doute du baume sur les plaies de la journée.

Steak:post

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Après expérimentation du Steak [Far West] préféré de Papa. Il n’y a aucune raison pour qu’un steak frit devienne gris, gras, extra-plat et sans goût. On peut ajouter toutes sortes d’ingrédients et de saveurs à de la viande hachée – des champignons émincés, une sauce cocktail, de l’ail et de l’oignon coupés, des amandes hachées moulues, une bonne cuillerée de piccalilli, ou tout ce qui peut vous faire saliver.

Pianococktail:post

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“Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.

— Il marche ? demanda Chick.

— Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.

— Quel est ton principe ? demanda Chick.

— À chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.