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Le Billisme:post

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Voilà donc, au milieu des années 1950, qu’au moins deux cent mille chômeurs “de naissance” (selon la revendication effrontée d’un chef Bill) constituent la majorité des Kinois. Les plus délurés d’entre eux s’entichent du personnage de Buffalo Bill, figure mythique du grand chasseur.

À la recherche du silence:post

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Le 29 août 1952, David Tudor monta sur la scène du Maverick Concert Hall, près de Woodstock, dans l’État de New York, s’assit au piano et pendant quatre minutes et demi ne produisit pas un son. Il interprétait “4’33””, une œuvre conceptuelle de John Cage. On l’a baptisée le “morceau silencieux”, mais son objectif est d’inviter les gens à écouter. “Le silence n’existe pas, dit Cage au souvenir de la première. On pouvait entendre le vent souffler au dehors pendant le premier mouvement. Pendant le deuxième, des gouttes de pluie se sont mises à crépiter sur le toit et pendant le troisième, l’auditoire lui-même produisit toutes sortes de bruits intéressants en parlant et en quittant la salle.”

De fait, certains membres de l’auditoire n’avaient que faire de cette expérience, quoiqu’ils aient épargné leurs protestations les plus retentissantes pour la session questions-réponses qui s’ensuivit. On rapporte notamment que l’un d’entre eux lança : “Bonnes gens de Woodstock, boutons ces gens hors de la ville !” La mère de Cage elle-même nourrissait quelques doutes. Lors d’un concert ultérieur, elle demanda au compositeur Earle Brown : “Sérieusement, Earle, vous ne trouvez pas que John est allé trop loin cette fois-ci ?”

Who Put The Bomp ?:post

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Qui a “posé le bomp” ? Barry Mann, bien sûr. Cet ancien étudiant en architecture de Flatbush, Brooklyn, l’a composé, chanté et fait entrer dans les charts en 1961, à vingt-deux ans à peine (sur sa lancée, il allait écrire avec sa femme, Cynthia Weil, une kyrielle de hits au premier rang desquels “You’ve Lost that Lovin’Feeling”, désigné en 1999 comme la chanson la plus programmée du XXe siècle sur les radios et télés américaines). Les paroles de “Who Put the Bomp” sont de Gerry Goffin, un autre natif de Brooklyn, mari de Carole King et compositeur d’une autre kyrielle de hits adolescents dans les années 1960, dont “The Loco-Motion” et “He Hit Me (And it Felt Like a Kiss)”. “Who Put the Bomp” (sans point d’interrogation, pour une raison inconnue) est un témoignage de gratitude, un hymne à la gloire de l’homme qui a fait naître l’amour chez la petite amie du chanteur. L’homme, précisément, qui a “posé le bomp dans le bomp ba bomp ba bomp”, et “le ram dans le ram a lam a ding dong”. De l’avis du chanteur, le cœur de sa petite amie (ainsi sans doute que son bas-ventre) ont été mis en émoi par les syllabes sans queue ni tête des basses, au son des vieux quarante-cinq tours qui accompagnaient deux figures imposées des amours adolescentes : les soirées dansantes, et les brefs instants d’intimité.

Les Fantômes de Lexington:post

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Au cours des deux ans que j’ai eu l’occasion de passer à Cambridge, dans le Massachusetts, j’ai fait la connaissance d’un architecte : bel homme, la cinquantaine, cheveux poivre et sel. Pas très grand, mais avec une belle musculature : il aimait nager, et allait à la piscine tous les jours. Il jouait au tennis aussi, de temps en temps. Disons qu’il s’appelait Casey. Casey, donc, était célibataire et partageait une vieille demeure de Lexington, dans la banlieue de Boston, avec un accordeur de piano taciturne, au teint maladif, du nom de Jeremy, qui devait avoir dans les trente-cinq ans. Jeremy était grand, souple et élancé comme un saule, les cheveux légèrement clairsemés.

Palestinien et activiste… musical:post

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Le professeur m’a laissé le choix entre quatre instruments : le violon, l’alto, le violoncelle ou la contrebasse. Je voulais absolument faire du violon parce que, pour être tout à fait franc, c’était le seul instrument que je connaissais alors. Les autres, je ne les avais jamais vus ailleurs qu’à la télévision. Lorsque j’ai été orienté vers l’alto en raison de la longueur de mes doigts, je ne m’en suis pas trouvé plus perturbé que cela. Pour moi, en effet, il s’agissait d’un violon, certes un peu plus grand, mais un violon tout de même.

New York is Killing Me:post

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Scott-Heron se définit lui-même comme un “bluesologiste”. Âgé de soixante et un ans, grand et maigre, il vit à Harlem dans un appartement situé en rez-de-chaussée qu’il ne quitte pas souvent. C’est un espace long et étroit. Un dessus-de-lit vient recouvrir la porte coulissante en verre qui mène au patio, occultant ainsi toute source de lumière et conférant à l’endroit l’aspect d’une cellule de moine, ou d’une cave. Un jour où je le croyais sorti, j’ai appelé chez lui pour laisser un message. Il a répondu en disant : “Je suis là. Où est-ce qu’un homme des cavernes pourrait être, si ce n’est dans sa caverne ?”

Le Mozart américain:post

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“Je souhaiterais vous poser une question, monsieur le Président.

– Allez-y, me répond-il.

– Vous êtes plutôt Kanye ou Jay-Z ?

– Jay-Z”, tranche-t-il avec un sourire, comme si le doute n’était pas permis.

Le débat le plus significatif de la pop culture actuelle est l’opposition entre Kanye West et Jay-Z, les meilleurs artistes hip-hop du monde. Et lorsqu’il s’agit de départager les deux rappeurs, qui dernièrement ont uni leurs forces pour une gigantesque tournée aux États-Unis intitulée Watch the Throne, Barack Obama ne cache pas sa préférence pour Jay-Z.

Boum Boum Tchac Bling Bling:post

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Pas un rappeur en vue. Dans les allées du parc des expositions de Bâle, la population est majoritairement blanche, entre deux âges et aisée. C’est ici que, chaque année, les joailliers et les horlogers viennent présenter leurs dernières créations lors du salon annuel Baselworld. Le 28 mars 2011, c’est le cocktail d’inauguration, et chaque exposant s’efforce d’éclipser tous les autres à coup d’annonces spectaculaires et de débauches de célébrités. Sur le stand du New-Yorkais Jacob & Co, Milla Jovovich parade, les mains, les bras et le cou criblés de pierreries. Derrière l’actrice, le fondateur du groupe Jacob Arabo décrit les bijoux qu’elle porte à la presse et aux invités. Jusqu’en 2006, on croisait plus facilement le diamantaire dans les boîtes hip-hop de la côte est des États-Unis qu’en Suisse : fournisseur attitré des rappeurs, l’homme était surnommé le “roi du Bling” et remercié dans plus de soixante-dix chansons. Mais son ascension fulgurante a été stoppée nette en 2008 par une condamnation à deux ans et demi de prison pour blanchiment. Libre depuis six mois, il fait à Bâle sa première réapparition publique. Son histoire illustre les relations complexes qu’entretient le milieu du rap avec les diamants.

Kolossoff:post

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Je fumai en scrutant mes yeux dans le miroir pour voir le reflet de mon reflet dans le brillant de mes pupilles. Ce reflet dans le reflet sera plus tard la musique qui sortira de mes doigts. La transformation opérait. À quelques minutes de la performance, je n’étais déjà plus le même Kolossoff. Je m’étais préparé à cette mutation depuis le petit matin. Je n’avais parlé à personne, je n’avais pas vraiment vécu.

Sinatra a un rhume:post

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Dans un coin sombre près du bar, un verre de bourbon dans une main et une cigarette dans l’autre, Frank Sinatra est debout entre deux blondes, jolies mais plus franchement jeunes. Assises, elles attendent qu’il veuille bien dire quelque chose. Mais lui reste silencieux. Il n’a pratiquement pas ouvert la bouche de toute la soirée, et à l’heure qu’il est, le regard perdu au-delà du comptoir dans la pénombre de la grande salle enfumée où des dizaines de jeunes couples se serrent autour de toutes petites tables quand ils ne dansent pas le twist au milieu de la piste au son assourdissant de la musique folk-rock déversée par la chaîne stéréo, il paraît encore plus impénétrable. Les deux blondes et les quatre hommes debout autour de lui dans ce club privé de Beverly Hills savent qu’il est préférable de ne pas forcer la conversation quand il reste ainsi muré dans un silence renfrogné. Et il faut bien dire qu’il en a souvent été ainsi au cours de cette première semaine de novembre, alors que dans un mois il aura cinquante ans.

Free as a Bird:post

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L’évènement Cinéma Paradiso me faisait rêver ; le diner américain avec les fauteuils en vinyles et les serveurs en uniformes, les décapotables devant l’écran plein air. J’avais envie d’y aller pour un milkshake à la fraise. Ou à la vanille.

Quand Elvis rencontra Nixon:post

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Monsieur le Président,

D’abord, j’aimerais me présenter. Je suis Elvis Presley et je vous admire et j’ai beaucoup de respect pour votre fonction. J’ai bavardé avec le vice-président Agnew à Palm Springs il y a trois semaines de ça et je lui ai fait part de mes inquiétudes concernant notre pays. Les drogués, les éléments hippies, les Students for a Democratic Society, les Black Panthers, etc. ne me considèrent pas comme leur ennemi qu’ils appellent l’Establishment. Moi, j’appelle cela l’Amérique et je l’aime profondément.

Steak:post

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Après expérimentation du Steak [Far West] préféré de Papa. Il n’y a aucune raison pour qu’un steak frit devienne gris, gras, extra-plat et sans goût. On peut ajouter toutes sortes d’ingrédients et de saveurs à de la viande hachée – des champignons émincés, une sauce cocktail, de l’ail et de l’oignon coupés, des amandes hachées moulues, une bonne cuillerée de piccalilli, ou tout ce qui peut vous faire saliver.

La musique est une offrande:post

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L’automne parisien s’était paré d’une brume hivernale. Au milieu du froid, Sonia Bazanta marchait dans un quartier morne du XIe arrondissement. Elle était habillée d’un pantalon noir léger, d’une veste polaire et d’un béret en daim sous lequel elle cachait sa chevelure. De son écharpe colorée, elle se couvrait le visage pour préserver la voix de Totó la Momposina :

“Qu’est-ce qui différencie Sonia et Totó ?, lui demandais-je.

— Nous sommes une seule et même personne, répondit-elle, aucune différence, si ce n’est que Sonia Bazanta m’est utile pour mon passeport, pour sortir du pays.”

Sonia Bazanta était partie de Bogotá, où elle vit, pour se rendre à Paris transformée en Totó la Momposina, chanteuse folklorique la plus reconnue de son pays, afin d’inaugurer le festival Villes des musiques du monde.

Ce jeudi 10 octobre 2013, Totó foulait de nouveau les rues qu’elle avait parcourues dans les années 1980, quand, à quarante ans, elle était venue à Paris pour étudier l’histoire de la danse à l’université de la Sorbonne.

Des notes sur les chansons:post

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Un jour, pendant que je vous regardais et vous écoutais chanter, Yasmine, j’ai été pris de l’impulsion de vous dessiner. Une impulsion absurde, parce qu’il faisait trop sombre : je ne voyais pas le carnet à dessins posé sur mes genoux. J’ai griffonné de temps en temps sans regarder, ne vous quittant pas des yeux.

Il y a un rythme dans ces griffonnages – comme si mon crayon accompagnait votre voix. Seulement, un crayon n’est pas un harmonica ou une batterie, et là, dans le silence, mes griffonnages n’ont pratiquement aucun sens.

Vous portiez des chaussures à talon rouges, des leggings noirs, un t-shirt foncé de teinte brune à moitié transparent aux épaules rembourrées ainsi qu’un châle orange, de la couleur des abricots. Vous aviez l’air de ne peser presque rien, un côté sec, léger, comme un éternel vagabond.

Quand vous avez commencé à chanter, tout a changé. Votre corps n’avait plus rien de sec et s’était rempli de sons, tout comme une bouteille peut se remplir de liquide au point de déborder.

Pianococktail:post

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“Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.

— Il marche ? demanda Chick.

— Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.

— Quel est ton principe ? demanda Chick.

— À chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.

Pentatonique:post

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Les autres passagers me regardent, stupéfaits. Comment le leur reprocher ? Le monsieur à ma gauche me dévisage comme si je venais de sortir posément une bombe de mon bagage à main. La dame qui est à ma droite ne réagirait pas autrement si j’avais ouvert mon ordinateur portable pour aller sur un site porno. Or qu’ai-je donc fait, en réalité, pour provoquer cet ébahissement ? Je viens de prendre un baladeur Sony et d’y insérer une cassette, c’est tout. Il me faut pousser le volume au maximum à cause du bourdonnement des moteurs de l’avion. Car ce que je veux entendre, on ne l’entend plus jamais en cette ère de musique digitale. Je veux entendre le son qui me ramène, plus que tout autre, au temps de mon enfance. Ma madeleine à moi. Je parle, bien sûr, du souffle de la cassette.

Cet enregistrement en est particulièrement pourvu ; c’est l’une de ses gloires. Parce qu’il s’agit d’une copie de deux autres copies. De la bande d’une bande d’une bande, dont chaque reproduction est d’une infidélité plus évocatrice, et dont chacune a acquis une strate de souffle bienvenue. Au point qu’on pourrait croire au bout de quelques secondes que ce souffle est ce qu’on a voulu enregistrer et qu’alors l’arrivée du piano désarçonne l’auditeur.

Congo Sound:post

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Hervé Halfon, un Français qui déteste les Français, est le propriétaire d’un magasin de disques situé rue des Plantes au cœur de Montparnasse, à quelques stations de métro de la tour Eiffel, bien qu’il soit spirituellement plus proche de l’avenue Gambela à Kinshasa, Congo, ou du quartier Mokolo à Yaoundé, Cameroun. Le magasin s’appelle Afric’Music. L’enseigne est discrète, la devanture ordinaire, et la boutique a la dimension et la forme d’une place de parking parisienne. La décoration intérieure n’a pas coûté cher au propriétaire. En-dehors d’un long comptoir, le magasin ne contient rien d’autre que des dizaines et des dizaines de CD rangés dans des bacs, sur des étagères ou en piles, tous dédiés à la musique africaine, à l’exception d’un rayon réservé à la musique des Caraïbes. Une chaîne hi-fi se planque quelque part derrière le comptoir, à l’abri des regards et surtout, hors de la portée d’un client qui aurait l’envie soudaine de remplacer le dernier album de n’dombolo par un morceau de M’Pongo Love. Branchée en permanence, la chaîne joue toujours à plein volume.

La Harpe du roi David:post

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A u cœur de l’Afrique existe un petit instrument réservé à la musique qu’on joue surtout pour soi. Musique intime, si toutefois cette notion peut désigner un cercle encore plus restreint que celui de la musique de chambre. Il s’agit d’une tablette sur laquelle un chevalet retient une collection de lamelles en bois ou en métal. Le musicien maintient l’instrument des deux mains en gardant les pouces libres afin de faire vibrer les lamelles ; un peu à la manière d’usagers de smartphones tapotant des messages.

Selon les régions, l’instrument qui appartient comme la guimbarde à la famille des lamellophones s’appelle sanza ou mbira, ou likembé ou encore kalimba. Il existe de nombreuses variantes de noms et surtout de formes. Le nombre de lamelles diffère et peut aller de quelques-unes à plusieurs dizaines. La tablette plus ou moins épaisse sert de caisse de résonance, si elle n’est pas remplacée par une boîte. Des bagues viennent souvent vibrer près du chevalet à la base des lamelles. Quand celles-ci ne sont pas en bois, elles sont forgées à partir de rayons de bicyclette, de baleines de parapluie ou de tout autre élément de récupération.

La ballade de Geeshie & Elvie:post

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Dans le petit monde de la musique noire américaine du début du XXe siècle et de tous ceux qui en ont la passion jusqu’à l’obsession – un petit monde qui, sous un certain angle, peut apparaître comme une coterie de collectionneurs érudits, blêmes et misanthropes, et sous un autre comme une fraction non négligeable de l’humanité –, il n’existe pas de fantômes plus intrigants que deux femmes dont les noms apparaissent ensemble sur trois disques ultra-rares sortis en 1930 et 1931 : Elvie Thomas et Geeshie Wiley. Il y a des musiciens aussi obscurs qu’elles, certes, et des musiciens aussi grands ; mais il n’y en a aucun pour qui l’intersection, sur un diagramme de Venn, entre la grandeur et l’effacement révélerait une coïncidence aussi étendue, aussi stupéfiante. Au printemps 1930, dans un studio d’enregistrement humide et mal éclairé, dans une petite localité du Wisconsin, sur la rive ouest du lac Michigan, le duo a enregistré une série de chansons que l’on compte depuis plus d’un demi-siècle parmi les chefs-d’œuvre de la musique d’avant-guerre. Deux en particulier, “Motherless Child Blues” d’Elvie et “Last Kind Words Blues” de Geeshie, sont comme le double sommet de leur œuvre brève : elles ont inspiré des essais, des romans, des films et des reprises – l’histoire classique.

L’évangile selon Jerry Lee:post

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Dans ses atours de joueur de seconde zone depuis le temps où le chrome est chrome, Jerry Lee Lewis est assis dans la loge du Palomino Club, tenant mollement le quart d’une bouteille de Seagram à moitié vide sur ses genoux, tel le sceptre terni d’une ancienne royauté déchue.

Il a l’air de mauvaise humeur. Mais pas autant que la nuit passée, quand il a réglé son compte à cet idiot dans le public d’un mot rapide et cinglant, quand il a viré de sa loge ce briscard arrogant d’une maison de disques, quand, au petit matin, il mettait toute personne présente au défi de lever la main sur lui. J’ai tenté d’engager la conversation cette nuit-là, mais il était de trop mauvaise humeur. “Quel temps fera-t-il demain en Chine ?” m’a-t-il demandé. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, que ça m’était égal ; et il a émis un grognement de dégoût. “Où veux-tu être enterré ?” m’a-t-il demandé. “Dans l’océan”, ai-je rétorqué. C’était mieux. Il a approuvé d’un signe de tête indulgent. Ça s’est passé comme ça la nuit dernière. À la fin, il ne parlait de rien d’autre que de la Bible. À la toute fin, il ne parlait plus du tout.

American folk:post

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J’habite à Berkeley, en Californie. Pendant vingt ans, j’ai gravi presque tous les jours la même colline escarpée et tortueuse jusqu’à un tronçon de rue pavée, du nom de Panoramic Way, qui débute derrière le stade de football de l’université de Californie. Quelques années plus tôt, alors que ma fascination pour l’Anthology of American Folk Music de Harry Smith – fascination qui remonte aux alentours de 1970 – virait à l’obsession, je me suis pris à imaginer que Smith avait vécu dans cette rue.

Je savais que Smith était né en 1923 à Portland (Oregon) et qu’il avait grandi à Seattle (Washington) et dans ses environs ; qu’il avait enregistré, adolescent, les cérémonies et les chants des tribus indiennes locales et qu’en 1940 il avait entrepris de collectionner des 78 tours de blues et de musique country des années 1920 et 1930 disponibles sur le marché. En 1952, à New York, alors que sa collection atteignait les dizaines de milliers, il avait réuni en une anthologie baptisée tout simplement, ou peut-être avec quelque arrogance, American Folk Music, quatre-vingt-quatre disques d’artistes oubliés : un recueil piraté, à la légalité pour le moins contestable, d’enregistrements édités à l’origine par des labels encore en activité tels que Columbia, Brunswick et Victor.

Conversation avec Alex Ross:post

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Alex Ross est considéré comme l’une des voix les plus importantes de la critique musicale contemporaine, peut-être même de la critique d’art en général. Pour tous ceux qui écrivent actuellement sur la musique, il constitue une référence. Son premier ouvrage The Rest is Noise, paru aux États-Unis en 2008, et en France en 2010, est sans doute le texte clé sur la musique du XXe siècle. Prenant la forme d’un récit haletant, cette œuvre propose une lecture à la fois pertinente, sensible et puissante du XXe siècle saisi sous le prisme de sa musique. Elle parvient 
à transcender tous les poncifs : elle reste d’une précision historique inégalée, mais évoque aussi brillamment des génies du siècle dernier, et tout cela avec une grande sensibilité littéraire, en un mot : un chef-d’œuvre. Il existe un festival de musique à Londres qui porte son nom, The Rest is Noise festival, dont Alex Ross est le référent. Spécialiste de la musique classique et contemporaine, Alex Ross a également écrit de nombreux essais très élaborés sur les musiques populaires, notamment pour le magazine américain The New Yorker, dont il est le musicologue attitré.

Justin Timberlake a un rhume:post

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Ken Ehrlich met en scène la cérémonie des Grammys depuis trente ans. Bedonnant, dégarni et vêtu de gris, il fait partie des hommes de l’ombre qui assurent le bon fonctionnement du show business. Je fais sa rencontre dans l’obscurité du grand dôme du Staples Center de Los Angeles. “Vous pouvez vous asseoir si vous la fermez”, grogne-t-il quand je me présente en chuchotant. D’un hochement de tête, il désigne en contrebas les bassistes qui calent leur rythme et les trompettistes qui poussent leurs instruments dans les aigus. La répétition qui s’annonce devrait durer plus d’une heure.

Ehrlich s’assure que chacun respecte le script minuté figurant dans son classeur à trois anneaux, grand ouvert sur un vaste plan de travail qu’un plaisantin a dressé comme une table de restaurant italien. Tout y est : la nappe en plastique à carreaux rouges et blancs, le plateau de fromage, la traditionnelle miche de pain à la semoule, la bouteille de chianti Ruffino dans son panier en osier et les bougies disposées sur deux vieux moniteurs Sony de dix-neuf pouces, permettant de visualiser la cérémonie telle que les téléspectateurs la regarderont depuis leur canapé.