Le jour qui a suivi la mort de Superman

auteur
Ken Kesey
Le jour qui a suivi la mort de Superman

Neal Cassady est un de ces héros que l’Amérique enfantait. Icône de la Beat Generation, on ne compte plus les victimes que la personnalité fulgurante de ce séducteur au tempérament de feu a brûlées au fer rouge. L’énergie frénétique de Neal, que traduisait une élocution digne de Finnegans Wake, mit en mouvement ceux qui croisèrent sa route. Au début des années 1960, Ken Kesey fut l’un d’eux. Dans une courte fiction, il revient sur les circonstances de la mort de son ami. L’épisode scelle la fin d’une époque.

À bout de nerfs, secoué de tremblements, il arpentait frénétiquement le fouillis de son bureau au-dessus de la grange, remuant livres, bouteilles, toiles d’araignée et nids de guêpes maçonnes, tâchant de se rappeler où il avait bien pu poser ses lunettes teintées.

Ses lunettes spéciales. Il les lui fallait impérativement. Depuis ce matin, il repoussait l’excursion jusqu’au fossé à l’autre bout du champ parce qu’une infâme fumée picotant les yeux envahissait l’atmosphère. Dès les premiers balbutiements de l’aube, bien avant que ses yeux le démangent et que la douleur lui vrille les sinus, et même encore avant la confrontation qui venait d’avoir lieu avec ces deux autostoppeurs en bas dans le jardin, il avait compris que ce jour de tristesse serait insupportable sans la protection d’une armure lui permettant de voir la vie en rose. Ces fameuses besicles, s’était-il répété, mettraient sans doute du baume sur les plaies de la journée.

The day after superman died, traduit de l’anglais (États-Unis) par Antoine Cazé, a été publié avec l’aimable autorisation des éditions Monsieur Toussaint Louverture, pour la traduction française. © Ken Kesey, 1986