À sa femme de ménage

auteur
Werner Herzog
illustrateur
Yann Kebbi
À sa femme de ménage

Rosalina. Chère.

Votre singulier problème de vue ne cesse de m’offenser. Ayez conscience qu’il y a une vérité et une beauté essentielles en toute chose. Depuis l’agonie d’une gazelle transpercée d’un coup de lance jusqu’au sourire ravagé d’un sans-abri au bord de l’autoroute. Mais cela ne signifie pas que ce qui est invisible n’existe pas. Bien que les bébés, crédules, croient bêtement que la personne en face d’eux disparaît lorsqu’elle couvre ses yeux dans
le jeu détestable qui consiste à faire coucou, c’est une méprise. Et donc, les poussières invisibles qui s’accumulent derrière les étagères de DVD dans la salle de jeux existent aussi. C’est inacceptable.
Je vais vous le dire, Rosalina, non par moquerie ou pour vous menacer mais comme une expression de la joie. La joie du vide, la joie de la réalité. Je veux que vous soyez au plus près du réel dans tout ce que vous faites. Si vous ne le pouvez pas, un semblant de réalité doit alors être maintenu.

Cette lettre de Herzog à sa femme de ménage a été traduite par Danielle Orhan et Marjorie Ribant. Le texte a paru la première fois dans le Sabotage Times, en octobre 2013. © Werner Herzog / Sabotage Times