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Dans la peau d’une bunny:post

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Les premières décennies du vingtième siècle auront été le berceau des Follies Girls, puis des Wampas baby stars, ces jeunes et jolies starlettes promises à un brillant avenir. Les années soixante, elles, auront vu l’éclosion des Playboy Bunny Girls, décrites par leurs employeurs comme “les filles les plus enviées d’Amérique”.

Mais que se passe-t-il vraiment dans cet univers “trépidant et sophistiqué”? Pour le découvrir, SHOW a choisi une auteure mêlant les qualités discrètes d’une brillante étudiante, membre du prestigieux club Phi Beta Kappa, diplômée avec mention du Smith College, à celles, plus visibles, d’une ex-danseuse, ancienne reine de beauté. Elle a débuté son enquête quelques semaines plus tôt, armée d’un gros agenda et d’une petite annonce.

Le romancier doit-il s’engager:post

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J’ai lu récemment sous une plume tout à fait honorable qu’il allait falloir réévaluer Faulkner. La raison : il n’était, “après tout, qu’un petit Blanc du Mississippi”. On laissait entendre que les lecteurs ne pouvaient désormais plus se fier à lui, à sa connaissance de son sujet – l’oeuvre de sa vie ! – : ses romans, ses nouvelles, toutes et tous enracinés dans ce qu’il appelait “my country” : “mon pays”. Pendant la majeure partie de sa vie, Faulkner s’est vu nier toute réelle analyse critique de son oeuvre, impartialement ignoré au Nord comme au Sud. En quarante ans, seule une poignée de journalistes littéraires a été capable d’évaluer son travail à sa juste valeur. Se souvenir de tout cela nous amènerait peut-être à sourire de ce journaliste comme d’un écolier tout frais émoulu.

Ouvrière dans une fabrique de boîtes:post

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L’autre matin, je commençai la journée à l’aube, non pas avec les hédonistes, mais aux côtés de ceux qui gagnent leur vie à la sueur de leur front. Je me mêlai, comme si j’étais l’une des leurs, au flot des hommes pressés et des filles de tous âges et de tous styles. Afin de démêler le vrai du faux dans ce que racontent les ouvrières sur leurs salaires et leurs conditions de travail déplorables, j’avais en effet décidé de me faire embaucher dans un atelier. Je me mis donc à la recherche d’un emploi ne nécessitant pas la moindre expérience, ni référence ou quoi que ce soit d’autre pouvant jouer en ma faveur.

Les Manifestants:post

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Ce samedi-là, aux alentours de vingt-trois heures, le médecin s’arrêta à nouveau à son cabinet. Il avait depuis peu pris l’habitude de se rendre chaque semaine au club, pour une partie de bridge. Mais ce soir, elle avait été interrompue pour la troisième fois, et ce n’est que maintenant qu’il rentrait de sa visite à Miss Marcia Pope. Grabataire, refusant tout traitement médical et en particulier les tranquillisants, elle avait une attaque tous les matins avant le petit-déjeuner et bizarrement souvent le samedi soir. Mais elle n’avait pas perdu la mémoire. Elle pouvait se distraire et réciter Shakespeare à profusion, l’“Arma virumque cano”, entre autres classiques. Plus Miss Marcia Pope récitait avec ardeur, plus son vieux visage prenait un air innocent. Ses traits rajeunissaient.

— Elle s’endormira normalement maintenant, je pense, avait-il dit à sa dame decompagnie, qui n’avait pas bougé de son fauteuil à bascule.

There’s no business:post

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Manny Hyman était dans le showbusiness depuis l’âge de seize ans. Quarante ans de galère et même pas de quoi s’offrir une cuvette pour gerber dedans. ll opérait dans l’un des salons du Sunset Hotel. Le petit salon. Lui, Manny, incarnait “Le Comique”. Vegas avait changé. L’argent était parti vers Atlantic City, où tout était plus frais, plus neuf. Et puis, il y avait cette foutue récession. “La récession, leur disait Manny, c’est quand votre femme se tire avec le premier venu. La dépression, c’est quand le premier venu vous la ramène. Quelqu’un m’a ramené la mienne. Il y a sûrement un truc marrant là-dedans, si je trouve quoi, je vous le fais savoir…”

Manny était dans la loge, à téter une pinte de vodka. Il était assis devant la glace… cheveux battant en retraite… front luisant, nez piquant vers le bas, dévié sur la gauche… les yeux sombres et tristes…

Merde, pensa-t-il, je suppose que c’est dur pour tout le monde. On ralentit mais il faut continuer d’avancer. C’est ça ou alors se coucher sur les rails.

On frappa à la porte.

Ambitions:post

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Par une journée d’hiver, peu de temps avant que Jim évoque pour la première fois la chirurgie esthétique, elle reçut un coup de téléphone de la fille d’Antonia, qui vivait à Brooklyn. La fille et sa petite amie donnaient une fête pour la dernière soirée d’Hannukah, et elles espéraient que Betsy et Jim viendraient. C’était là une étrange invitation, étant donné la haine notoire de Jim pour les fêtes juives et la haine tout aussi notoire d’Antonia pour Jim – Betsy soupçonna que la fille, en les invitant, voulait en fait exaspérer Antonia –, mais il n’y avait pas grand danger que Jim dise “oui”. C’est en tout cas ce qu’elle pensait. Ce soir-là, quand il rentra du travail, il éclata de rire avant de dire : “Une fête d’Hannukah lesbienne ? Hé hé hé ! Vaut mieux pas que j’en parle à Hagstrom, sinon il va vouloir venir avec nous pour voir à quoi ça ressemble.”

Les Psy des généraux:post

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L’ incident montre à quel point le commandement américain en Afghanistan cherche désespérément à convaincre ses dirigeants de soutenir une guerre de moins en moins populaire. […] “Tout le monde dans les Psyops, l’intelligence, et la communauté des services de renseignement, sait que l’on ne doit pas prendre d’Américains pour cible, raconte un vétéran d’une autre unité de Psyops qui a mené des opérations en Irak et en Afghanistan. C’est la première chose qu’on nous enseigne.”

La Famélique:post

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Au début, bien longtemps avant les femmes, il avait vécu dans une chambre. Il n’escomptait aucune amélioration de son sort. Il était fait pour vivre là : une fenêtre, une douche, une plaque de cuisson, un petit frigo calé dans les toilettes, et un placard bricolé pour ranger ses maigres possessions. Il existe une sorte de monotonie qui s’apparente à la méditation. Un matin, alors qu’il buvait son café, les yeux dans le vide, la lampe murale prit feu. Mauvaise installation électrique, songea-t-il calmement, et il éteignit sa cigarette. Il regarda les flammes grandir, l’abat-jour commencer à se gondoler puis se racornir. Le souvenir s’arrêtait là.

L’Obsolescence programmée des objets:post

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La vision classique de l’économie reposait sur la croyance en une Nature avare de ses biens et sur l’idée que la race humaine était confrontée en permanence au spectre de la pénurie. L’économiste Malthus tirait la sonnette d’alarme dans un texte de 1798 : la hausse de la population qui, prédisait-il, serait largement supérieure aux gains de la production de denrées comestibles, appauvrirait notre race.

Cependant, la technologie moderne et l’approche scientifique du commerce, cette véritable aventure de l’esprit, ont augmenté la productivité des usines et des champs dans des proportions telles que le problème économique fondamental est devenu celui de l’organisation des achats plutôt que la stimulation de la production.

La Dépression actuelle a foncièrement quelque chose d’une ironie amère : des millions de personnes sont privées de conditions de vie satisfaisantes alors que les surplus encombrent les greniers et les entrepôts du monde entier ; et les prix sont tellement en dessous de leur niveau habituel qu’il ne serait plus attractif, ni rentable, de se remettre à produire.

Hommage à Hemingway:post

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Il s’en tint là, en espérant que ses élèves réfléchiraient aux conjectures que nous faisons machinalement sur les gens – et même à la possibilité que ces deux-là aient été des touristes heureusement mariés, et que le mari se fût toujours habillé et eût toujours porté sa barbe comme ça. Il espérait aussi qu’ils réfléchiraient à l’influence de la vie sur l’art, et de l’art sur la vie. Et s’ils avaient posé la question, il aurait répondu que, pour lui, le Hemingway romancier était comme un athlète dopé aux stéroïdes.

La Blonde dans la valise:post

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Depuis le début, c’était une sale affaire.

Une femme de vingt-et-un ans aux longues mèches blondes, portant des traces de coups, avait été retrouvée dans un terrain vague, face contre terre, nue, à la périphérie ouest de Miami, là où les rues soignées de la banlieue la plus lointaine jouxtent les hautes herbes et la boue noire des Everglades. Il était tôt en ce petit matin de l’hiver 2005. L’employé d’une entreprise locale d’électricité conduisait à travers les parkings vides bordant un cul-de-sac lorsqu’il vit le corps de la jeune fille.

Et, à sa grande surprise, elle était en vie. Elle était encore inconsciente quand la police l’héliporta à l’hôpital Jackson Memorial. Quand elle se réveilla dans le secteur des traumatisés, elle ne parvenait pas à se rappeler grand-chose de ce qui lui était arrivé. Son corps, lui, racontait une terrible histoire. Elle avait été violée, sauvagement battue, et laissée pour morte. Elle souffrait d’un sérieux traumatisme crânien, ayant encaissé des coups qui avaient secoué son cerveau dans sa boîte crânienne. Du sperme avait été retrouvé dans son vagin. Les os autour de son œil droit étaient brisés. Elle était terrifiée et hagarde. Difficile à comprendre également. Elle parlait anglais en utilisant la syntaxe et la grammaire de son ukrainien natal, oubliant des pronoms, inversant la structure des phrases. Et l’une des premières choses dont elle s’enquit à son réveil fut de parler à son avocat. Pour le moins inhabituel.

Adieu à tout ca:post

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Rétrospectivement, il me semble que cette époque-là, quand je ne connaissais pas encore le nom de tous les ponts, fut plus heureuse que la suivante, mais peut-être comprendrez-vous ce que je veux dire au fur et à mesure. Ce que je veux vous raconter, c’est notamment ce que c’est d’être jeune à New York, comment six mois peuvent devenir huit ans avec la facilité trompeuse d’un fondu enchaîné, car c’est ainsi que m’apparaissent aujourd’hui ces années-là, en une longue séquence de fondus enchaînés sentimentaux et de vieux tours de passe-passe de cinéma – les fontaines du Seagram Building se fondent en flocons de neige, j’entre par une porte à tambour à vingt ans et j’en ressors beaucoup plus vieille et dans une rue différente. Mais surtout, ce que je veux vous expliquer, et au passage m’expliquer à moi-même peut-être, c’est pourquoi je ne vis plus à New York. On dit souvent que New York, c’est une ville réservée aux très riches et aux très pauvres. On dit moins souvent que New York est aussi, du moins pour ceux d’entre nous qui venaient d’ailleurs, une ville réservée aux très jeunes.

Loving versus Virginia:post

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Une nuit de juin 1958, Richard Perry Loving et sa femme Mildred dorment paisiblement dans leur maison près de Bowling Green en Virginie quand, soudain, sans sommation, le shérif du comté, sur dénonciation anonyme, fracture la porte et les arrête au beau milieu de la nuit. Leur crime ? Richard Loving est blanc, Mildred Loving, née Jeter, est noire d’origine cherokee. Tous deux amoureux, ils se sont mariés cinq semaines plus tôt, dans l’État voisin de Washington, dans le district de Columbia, en dépit de la loi interdisant les mariages mixtes dans l’Etat de Virginie. Les époux Loving plaident coupable et sont condamnés à vingt-cinq ans de prison pour violation de la loi de Virginie et forfaiture, condamnation avec sursis à condition qu’ils quittent immédiatement l’Etat. Non pas par activisme politique mais par la simple volonté de faire respecter leur droit individuel, les bien nommés époux Loving se lancent dans une odyssée judiciaire de neuf interminables années, qui va les mener devant la Cour suprême des Etats-Unis à Washington où ils “baptiseront” de leur nom l’un des arrêts pivots de l’histoire américaine récente : “Loving versus Virginia”. Au cœur de l’affaire, une histoire d’amour.

Jeremy & Theresa:post

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C’est à Washington, par une pluvieuse nuit d’octobre, que la famille et les amis de Jeremy Blake se sont réunis lors d’une messe privée à la Corcoran Gallery of Art pour lui rendre un dernier hommage. Blake, artiste de trente-cinq ans reconnu dans le monde entier pour ses “peintures en mouvement” aussi intenses que torturées, figures animées associant l’art abstrait et le film numérique, a mis fin à ses jours dans la nuit du 17 juillet 2007, s’enfonçant dans l’océan Atlantique à Rockaway Beach, dans le Queens.

“Je vais rejoindre la charmante Theresa”, pouvait-on lire au dos d’une carte de visite posée près de ses vêtements, sur la plage. Des hélicoptères de police sondèrent les alentours des jours entiers dans l’espoir de le trouver vivant. Ses proches priaient pour qu’il le soit, avançant que son passeport avait disparu et qu’il avait acheté un billet d’avion pour l’Allemagne. Mais le 22 juillet, un pêcheur aperçut son corps flottant à vingt-cinq kilomètres au large de Sea Girt, dans le New Jersey.

Les ‘Tos:post

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Au cours des récits que je fis à mes amis de divers épisodes concernant mes voyages en mer, j’eus parfois l’occasion de mentionner les ‘Tos, ce peuple singulier, soit en tant que connaissances, soit en tant que compagnons d’équipage. Les allusions se faisaient de façon fort naturelle et innocente. Par exemple, je disais “Les deux ‘Tos”, comme l’on dirait “Les deux Hollandais” ou “Les deux Indiens”. En fait, étant moi-même si familier avec les ‘Tos, il me semblait qu’il devait en être de même pour tout le monde. Mais loin de là. Mes auditeurs ouvraient grand les yeux, l’air de dire “Que diable peut bien être un ‘Tos ?” Pour les éclairer, je devais m’interrompre souvent, ce qui n’allait pas sans nuire au bon déroulement de mes récits. C’est pour remédier audit désagrément qu’un ami me fit valoir la pertinence d’écrire quelque compte-rendu sur les ‘Tos et de le faire publier.

Merci pour le feu:post

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Mrs Hanson était une jolie femme à la quarantaine un peu fanée qui vendait des corsets et des gaines, en représentation hors de Chicago. Durant de nombreuses années, son secteur avait balayé Toledo, Lima, Springfield, Colombus, Indianapolis, et Fort Wayne, et son transfert dans le district Iowa-Kansas-Missouri valait une promotion, car son entreprise se trouvait plus solidement implantée à l’ouest de l’Ohio.

À l’est, elle bavardait volontiers avec sa clientèle et, à la conclusion d’une affaire, il n’était pas rare qu’elle se vît offrir un verre ou une cigarette dans le bureau du responsable des achats. Mais elle découvrit bientôt qu’il en allait autrement dans son nouveau district.

New York is Killing Me:post

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Scott-Heron se définit lui-même comme un “bluesologiste”. Âgé de soixante et un ans, grand et maigre, il vit à Harlem dans un appartement situé en rez-de-chaussée qu’il ne quitte pas souvent. C’est un espace long et étroit. Un dessus-de-lit vient recouvrir la porte coulissante en verre qui mène au patio, occultant ainsi toute source de lumière et conférant à l’endroit l’aspect d’une cellule de moine, ou d’une cave. Un jour où je le croyais sorti, j’ai appelé chez lui pour laisser un message. Il a répondu en disant : “Je suis là. Où est-ce qu’un homme des cavernes pourrait être, si ce n’est dans sa caverne ?”

Lettre ouverte à Wikipédia:post

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Cher(e) Wikipédia,

Je suis Philip Roth. J’ai récemment eu des raisons de lire pour la première fois l’entrée de Wikipédia portant sur mon roman intitulé La Tache. Cette entrée comporte une affirmation inexacte que j’aimerais vous demander de retirer. Cet élément est parvenu à Wikipédia non depuis la sphère de la véracité mais depuis celle du bavardage des commères du milieu littéraire – il n’y a dedans aucune vérité.

Cependant, il y a peu de temps, lorsque j’ai sollicité la suppression de cette erreur et de deux autres auprès d’un représentant officiel de Wikipédia, celui-ci s’est vu répondre par “l’administrateur de Wikipédia en anglais” – dans une lettre datée du 25 août à lui adressée – que moi, Roth, je n’étais pas une source crédible : “Je comprends que, selon vous, l’auteur est l’autorité suprême en ce qui concerne son propre travail, écrit l’administrateur de Wikipédia, mais il nous faut des sources secondaires.”

Les suspects portaient des Louboutin:post

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Dans son rapport sur le Bling Ring, la police de Los Angeles rapporte que selon Nick Prugo, Rachel Lee – jeune fille américano-coréenne originaire de Calabasas, une banlieue chic de la Vallée – était “l’élément moteur du gang des cambrioleurs. Sa motivation provenait de son désir de posséder la garde-robe haute couture des célébrités d’Hollywood qu’elle admirait”. Neiers, Prugo, Lee, Tamayo, leur amie Courtney Ames, dix-neuf ans, et Roy Lopez Jr. – un videur de vingt-sept ans qu’Ames avait rencontré à un moment où elle-même était serveuse – sont tous inculpés dans cette affaire.

La Désertion des animaux du zoo:post

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Au début, Lutz pensa que ce qu’il avait toujours craint s’était réalisé : Thompson avait été mis en pièce par quelques-uns de ses animaux et deux d’entre eux étaient en liberté. Mais la radio de sa voiture de patrouille l’informe alors qu’il y a plus de deux animaux en liberté, et il ne sait plus quoi penser. Lutz donne l’ordre d’alerter immédiatement la population : les riverains doivent rester chez eux ; les personnes qui sont sur la route ne doivent pas sortir de leur véhicule. Peu après, des panneaux de signalisation lumineux commencent à clignoter sur le bord de l’autoroute I-70 : “ATTENTION ANIMAUX EXOTIQUES.”

Vacances de printemps arabe:post

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Chris Jeon atterrit au Caire le 23 août 2011, un mois avant la reprise des cours. Ses parents croyaient qu’il allait faire du tourisme en Égypte. Il apporta un jean, trois chemises, une veste en cuir, une paire de Converse et deux préservatifs. Une fois au Caire, il sauta dans un bus qui le mena jusqu’à Saloum, à la frontière libyenne.

Des rebelles tenaient le poste de garde. Ils jouaient à FIFA sur leur PlayStation lorsque Jeon apparut. Il les salua. Ils jetèrent un œil à son passeport et s’en retournèrent à leur jeu vidéo. “OK, cool”, dit Jeon. Il pénétra à pied sur le territoire libyen, sans plus de formalités.

Sinatra a un rhume:post

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Dans un coin sombre près du bar, un verre de bourbon dans une main et une cigarette dans l’autre, Frank Sinatra est debout entre deux blondes, jolies mais plus franchement jeunes. Assises, elles attendent qu’il veuille bien dire quelque chose. Mais lui reste silencieux. Il n’a pratiquement pas ouvert la bouche de toute la soirée, et à l’heure qu’il est, le regard perdu au-delà du comptoir dans la pénombre de la grande salle enfumée où des dizaines de jeunes couples se serrent autour de toutes petites tables quand ils ne dansent pas le twist au milieu de la piste au son assourdissant de la musique folk-rock déversée par la chaîne stéréo, il paraît encore plus impénétrable. Les deux blondes et les quatre hommes debout autour de lui dans ce club privé de Beverly Hills savent qu’il est préférable de ne pas forcer la conversation quand il reste ainsi muré dans un silence renfrogné. Et il faut bien dire qu’il en a souvent été ainsi au cours de cette première semaine de novembre, alors que dans un mois il aura cinquante ans.

Touche pas à ma ville:post

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J’avais neuf ans en 1974 quand, au plus fort de la crise déclenchée par la politique de mixité raciale dans les écoles, mes parents et moi avons traversé South Boston en voiture pour rentrer à Dorchester, où nous habitions. Au niveau de West Broadway, nous nous sommes retrouvés coincés dans un embouteillage monstre, et, pare-chocs contre pare-chocs, nous avons progressé à une allure d’escargot au milieu d’un des rassemblements populaires les plus effrayants que j’aie jamais vus. Des effigies du juge Arthur Garrity, du sénateur Edward Kennedy et du maire Kevin White, accrochées aux réverbères, brûlaient un peu partout. Les flammes se reflétaient sur les vitres de la Chevy de mon père, à travers lesquelles je voyais défiler les visages d’une foule tellement déchaînée que la scène avait un caractère quasi médiéval.
Ce soir-là, la raison ne faisait pas recette dans West Broadway – pas plus que la compassion ni le désir de débattre de nos différences dans la nuance ou le respect de la complexité. L’heure n’était pas aux échanges civilisés, mais à la rage.

Quand Elvis rencontra Nixon:post

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Monsieur le Président,

D’abord, j’aimerais me présenter. Je suis Elvis Presley et je vous admire et j’ai beaucoup de respect pour votre fonction. J’ai bavardé avec le vice-président Agnew à Palm Springs il y a trois semaines de ça et je lui ai fait part de mes inquiétudes concernant notre pays. Les drogués, les éléments hippies, les Students for a Democratic Society, les Black Panthers, etc. ne me considèrent pas comme leur ennemi qu’ils appellent l’Establishment. Moi, j’appelle cela l’Amérique et je l’aime profondément.

Quel monde:post

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Chers Wendell,

Larry, Ed, Bob

& Gurney,

Amis, j’ai un terrible poids sur la conscience. Je ressentais le besoin d’écrire et de parler d’une chose à quelqu’un et, comme je l’ai dit il y a longtemps à Larry, vous êtes les meilleurs confidents que je connaisse. Aussi, soyez un petit peu indulgents avec moi ; je ne suis que souffrance. Nous avons confectionné le cercueil nous-mêmes (George Walker, surtout). Zane, les amis de Jed et les membres de la confrérie ont creusé la fosse dans un joli endroit, entre le poulailler et la mare. Page a trouvé la pierre et l’a gravée. Tu aurais été fier, Wendell, en particulier du cercueil – en pin clair, bordé et orné de séquoia. Les poignées en corde de chanvre épaisse. Et toi, Ed, tu aurais apprécié le tissu de revêtement. C’était une pièce de brocart tibétain, qu’Owsley avait donnée à la Mountain Girl il y a quinze ans, cousue d’or et d’argent, aux motifs brun roux représentant des phœnix jaillissant des flammes.

Ceci est un complot !:post

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Souvenez-vous, c’est ici que vous l’aurez découvert pour la première fois.

Charles Manson, individu abominable en apparence, était en fait une victime : sans le savoir, il appartenait aux services secrets de l’armée et était programmé pour tuer. En même temps, une analyse du plan directeur musical orchestré par les cocos révèle la présence d’une arme jusqu’ici inconnue – l’isolement sensoriel –, arme élaborée par l’infâme KGB pour amener au suicide spirituel et faire d’une génération de jeunes Américains des bananes. D’où les Beatles. Lee Harvey Oswald ne possédait pas de fusil, était un piètre tireur, et appartenait aux services secrets de la Navy. Tout comme Dick Dixon. L’œil de la providence qui vise à éradiquer l’idéal chrétien en Amérique, compte au nombre de ses partisans secrets des anciens présidents de l’Inde et de la Paramount, mais aussi Robert McNamara. Les prétendus dirigeants du monde des États nations peuvent gaiement se satisfaire de tranquillisants, d’alcools et de sodomies parce qu’ils sont des pantins-prostitués contrôlés par les législateurs de la vérité sur Terre, à savoir “la minorité de la syphilis juive”.
Attendez.

Quatre centimètres de gloire:post

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De fines volutes de fumée s’échappaient lentement par la porte ouverte du bâtiment et par une fenêtre au premier, ouverte elle aussi, avant de se dissiper dans l’air. Au-dessus, au second étage, le visage d’un enfant – très jeune et apparemment juché sur la pointe des pieds – était plaqué contre la vitre. Ses traits trahissaient la perplexité, mais pas la peur. L’homme à gauche d’Earl Parish l’aperçut en premier.

“Hé ! cria-t-il en le montrant du doigt, y a un gosse là-haut !”

Les autres levèrent le nez et répétèrent : “Y a un gosse là-haut.”

“On a donné l’alarme ? demanda un quidam qui venait de surgir sur les lieux.

— Oui, répondirent en chœur plusieurs voix, et l’une d’elles d’ajouter : les camions de pompiers devraient arriver d’une minute à l’autre.”

L’homme qui avait repéré l’enfant fit l’éloge de sa propre découverte.

“Il est drôlement bien ce gamin, il pleure pas, ni rien.

— Si ça se trouve, il se rend même pas compte de la situation.

— Les pompiers seront là dans une seconde. Ça servirait à rien d’essayer
d’intervenir. Avec leur échelle et tout le bazar, ils le sortiront de là bien
plus vite que nous.”

L’homme qui voulair réécrire Nabokov:post

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C’est un après-midi de décembre à New York. Le ciel se remplit d’un bleu limpide et une fine pellicule blanche recouvre la chaussée.

Les Garçons du quartier:post

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On jouait à un jeu. Peut-être pas un jeu à proprement parler. Est-ce qu’une balle est un jeu ? Non, une balle n’est pas un jeu. Mais on peut en faire un jeu, pas vrai ?

Américain, âge : dix ans:post

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Si Colin Duffy et moi devions un jour nous marier, on aurait des cahiers assortis avec des superhéros en couverture. On porterait des shorts, des grosses baskets, de longs teeshirts amples à l’effigie d’athlètes célèbres, et ce tous les jours de l’année, même en hiver.

Le jour qui a suivi la mort de Superman:post

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À bout de nerfs, secoué de tremblements, il arpentait frénétiquement le fouillis de son bureau au-dessus de la grange, remuant livres, bouteilles, toiles d’araignée et nids de guêpes maçonnes, tâchant de se rappeler où il avait bien pu poser ses lunettes teintées.

Ses lunettes spéciales. Il les lui fallait impérativement. Depuis ce matin, il repoussait l’excursion jusqu’au fossé à l’autre bout du champ parce qu’une infâme fumée picotant les yeux envahissait l’atmosphère. Dès les premiers balbutiements de l’aube, bien avant que ses yeux le démangent et que la douleur lui vrille les sinus, et même encore avant la confrontation qui venait d’avoir lieu avec ces deux autostoppeurs en bas dans le jardin, il avait compris que ce jour de tristesse serait insupportable sans la protection d’une armure lui permettant de voir la vie en rose. Ces fameuses besicles, s’était-il répété, mettraient sans doute du baume sur les plaies de la journée.

L’hippo d’Amérique:post

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A ussi grotesque et improbable puisse-t-elle sembler, sachez que cette histoire est aussi vraie que sérieuse. La plupart des faits qui y sont rapportés sont irréfutables. Certains détails ont toutefois résisté à toutes mes tentatives de vérification et demeurent empreints de mystère. J’aimerais expliquer pourquoi.

Ceci est une histoire d’hippopotames, comme annoncé, mais c’est aussi l’histoire de deux hommes à la fois complexes et exceptionnels. Deux espions. Deux ennemis mortels. Chacun rêvait de tuer l’autre et s’attendait à en tirer une grande satisfaction. Des circonstances tout à fait farfelues, dans lesquelles les hippopotames occupent un rôle central, firent de ces rivaux des alliés et, plus encore, des amis. Mais, au bout du compte, leur opposition reprit le dessus.

Farm Security Administration:post

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P our décrire la démarche à l’œuvre dans Témoignage, États-Unis, l’auteur Charles Reznikoff citait cette phrase d’un poète chinois du XIe siècle : “La poésie présente l’objet afin de susciter la sensation. Elle doit être très précise sur l’objet et réticente sur l’émotion.” Rien n’est moins vrai dans cet ensemble de photographies de la Farm Security Administration : l’objet précis, la sensation prégnante, l’émotion à distance. Affleure par-delà les visages, la voix des humbles, par-delà les routes désertes ou les paysages désolés l’Amérique des laissés-pour-compte. Un sondage d’images recueilli non par une armée d’administrateurs zélés mais par une bande de photographes dispersés aux quatre vents à la recherche de l’image juste.

Portrait de l’artiste en postier:post

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Nous sommes en juillet 2011, à plus de sept mille cinq cents kilomètres à l’est de la ville de Waco, dans les ateliers de confection Hermès, à Lyon. Une assistante designer déploie un des carrés en twill de soie 90 x 90 centimètres qui font la réputation de la maison de luxe. Celui-ci est richement illustré de plantes et d’animaux du Texas. “C’est mon foulard préféré”, confie-t-elle à notre groupe de visite en désignant les principaux motifs. Intitulé Faune et Flore du Texas, il a été créé à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’État et a l’aspect romantique et suranné d’une planche d’encyclopédie. L’assistante designer suit du bout du doigt les contours d’une couronne de figues de Barbarie et d’une dinde charnue. Sa main caresse des nids de colverts, des troupes de ratons laveurs, un mustang en pleine ruade, un lièvre sauvage, une Longhorn impassible.

L’homme qui vous sauve de vous-même:post

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O n n’a jamais vu personne intégrer une secte. Certains rejoignent des associations en faveur des technologies vertes, du droit des animaux ou de la méditation transcendantale. D’autres se mettent à prendre des cours de yoga ou à participer à des ateliers d’entrepreneurs. D’autres encore commencent l’apprentissage d’une religion orientale qui prêche la paix et la tolérance. Selon Margaret Singer, la doyenne du pôle universitaire spécialisé dans l’étude des sectes, la règle numéro un en matière de recrutement, c’est que la personne visée ne doit jamais se douter qu’elle est en train d’être recrutée. La règle numéro deux, c’est que la secte doit monopoliser tout le temps de la recrue. Par conséquent, pour avoir une quelconque chance de secourir un nouveau disciple, il est essentiel d’agir rapidement. Le problème, c’est que la famille et les amis, à l’instar du nouveau membre de la secte, mettent un certain temps à admettre la gravité de la situation. “En général, les clients ne viennent me voir que lorsque leur fille a été fanatisée jusqu’à la moelle”, rapporte David Sullivan, un détective privé de San Francisco qui s’est spécialisé dans les sectes. “À ce stade, ajoute-t-il, le taux de réussite est très faible.”

Opération delirium:post

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Le colonel James S. Ketchum rêvait d’une guerre sans victimes. Engagé dans l’armée en 1956, il l’a quittée en 1976. Durant ces vingt années, il ne s’est pas battu au Vietnam, n’a pas envahi la baie des Cochons, ni protégé l’Europe de l’Ouest à bord d’un tank, ou aidé à bâtir un site de lancement d’armes nucléaires sous l’Arctique. En pleine guerre froide, il a pris les commandes d’une expérimentation militaire top secrète. L’objectif : neutraliser l’ennemi à coups de nuages toxiques provoquant temporairement “un dysfonctionnement sélectif de la machine humaine”, pour reprendre les termes d’un officier haut gradé. Pendant près de dix ans, Ketchum, psychiatre de formation, a travaillé avec la certitude que les armes chimiques étaient moins barbares que les balles et les obus – du moins essayait-il de s’en persuader. Afin de rendre son rêve réalité, il expérimentait sans relâche au fin fond d’un complexe militaire isolé, testant des armes chimiques sur plusieurs centaines de soldats en parfaite santé tout en se persuadant du bien-fondé de la chose.

Steak:post

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Après expérimentation du Steak [Far West] préféré de Papa. Il n’y a aucune raison pour qu’un steak frit devienne gris, gras, extra-plat et sans goût. On peut ajouter toutes sortes d’ingrédients et de saveurs à de la viande hachée – des champignons émincés, une sauce cocktail, de l’ail et de l’oignon coupés, des amandes hachées moulues, une bonne cuillerée de piccalilli, ou tout ce qui peut vous faire saliver.

Une vie comme une autre:post

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Casa Fiesta

Je ne changerais rien au début pour tout l’or du monde : j’avais une voiture électrique, une nounou tout de blanc vêtue et bien amidonnée, un poney, un lit copié sur celui de l’Aiglon, et l’archevêque du diocèse en personne avait officié à mon baptême. Je portais des chapeaux et me promenais en suçotant une petite pipe. J’étais l’enfant chéri du ranch et faisais la joie de tous. Un jour où je m’étais allongé sur le carrelage jaune et bleu pour bronzer, les yeux perdus dans les géraniums, respirant à pleins poumons notre bon air bien chaud et bien propre, une abeille me piqua le derrière. La réaction à mes cris fut grandiose : les domestiques se mirent à courir dans tous les sens et ma mère à crier des ordres ; Don Enrique m’appliqua un vieux remède indien, et mon père m’emmena jusqu’à la petite maison sur la plage pour que l’eau de mer puisse faire son œuvre. Quel monde merveilleux ! Jamais postérieur ne fut autant bichonné !

La ballade de Johnny France:post

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Vous avez probablement entendu parler de cette affaire, celle d’une jeune femme de Bozeman, dans le Montana, qui fut kidnappée par des Hommes des Montagnes. Elle s’appelait Kari Swenson. C’était une biathlète de niveau international. En juillet dernier, pendant son entraînement, alors qu’elle courait sur un sentier près de la station de Big Sky, deux hommes jaillirent des bois et s’emparèrent d’elle avant de l’enchaîner à un arbre. C’étaient des Hommes des Montagnes, un père et son fils. Et ils étaient à la recherche d’une femme.

Ils n’auraient pas pu tomber plus mal. Non pas que Kari ne soit pas belle, suffisamment forte, ou capable de leur apprendre quelques bonnes manières. Elle avait toutes ces qualités, et bien plus encore : vingt-trois ans, diplômée de la Montana State University, skieuse et tireuse chevronnée, très sympathique la plupart du temps. Bref, on aurait pu dire de Kari Swenson qu’elle était une vraie beauté de Bozeman, la plus jolie fleur du New West. Mais le New West et ces Hommes des Montagnes n’avaient pas grand-chose en commun. Avaient-ils l’intention de la courtiser avec l’écureuil qu’ils cuisinèrent pour elle ?

Coronado High:post

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1976

À l’horizon, un bateau. Dave Strather le vit à travers ses jumelles : les voiles spectrales se pressant sur l’eau, la coque pleine d’une cargaison précieuse. Dave était assis sur une falaise qui surplombait le Pacifique. La plage déserte était plongée dans l’obscurité, pas âme qui vive dans les quatre-vingts kilomètres à la ronde. C’était la Côte Perdue, une vaste bande de terre inhabitée et recouverte de forêts superbes, au nord de la Californie, ce genre d’endroit qui vous fait comprendre pourquoi on appelle cet État le Golden State. Dave avait choisi ce lieu précisément parce qu’il était désert. Son équipe et lui avaient besoin de discrétion. Le bateau était chargé de marchandise de contrebande : quasiment deux tonnes de Thaï Stick, la petite nouvelle dans le commerce de la marijuana, un produit aussi puissant que cher, que Dave et son équipe – une bande de trafiquants auto-baptisée la Coronado Company – allaient décharger et revendre pour des millions de dollars. Une fois que Dave eut établi un contact visuel, son équipe lança sur la radio : “Ketch au large, merci de vous identifier.”

“Ici Red Robin.”

Madoff en prison:post

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En août 2009, peu après son arrivée à la prison fédérale de Butner en Caroline du Nord, Bernard L. Madoff faisait la queue pour recevoir ses médicaments contre l’hypertension, lorsqu’il entendit un de ses codétenus l’appeler par son nom. Madoff, alors âgé de soixante et onze ans, auteur de la chaîne de Ponzi la plus dévastatrice de l’histoire, était habillé comme tous les autres prisonniers. Il portait l’un de ses trois costumes standardisés couleur kaki avec son nom et son matricule collés sur la poche de sa chemise. L’heure de la promenade (le moment le plus agréable de la journée d’un prisonnier) touchait à sa fin et Madoff, qui aime se ballader le long de l’allée accompagné parfois de l’ancien parrain Carmine Persico ou de l’espion Jonathan Pollard, s’était précipité vers l’infirmerie. Il avait dépassé les cellules d’isolement (“le trou”), était passé par le gymnase et sous la clôture de quatre mètres de haut, et avait pris la direction de Maryland, le bâtiment dans lequel les pédophiles sont relégués après avoir purgé leur peine. Une centaine de prisonniers se tenaient là à attendre une infirmière, certains en plein soleil.

La ballade de Geeshie & Elvie:post

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Dans le petit monde de la musique noire américaine du début du XXe siècle et de tous ceux qui en ont la passion jusqu’à l’obsession – un petit monde qui, sous un certain angle, peut apparaître comme une coterie de collectionneurs érudits, blêmes et misanthropes, et sous un autre comme une fraction non négligeable de l’humanité –, il n’existe pas de fantômes plus intrigants que deux femmes dont les noms apparaissent ensemble sur trois disques ultra-rares sortis en 1930 et 1931 : Elvie Thomas et Geeshie Wiley. Il y a des musiciens aussi obscurs qu’elles, certes, et des musiciens aussi grands ; mais il n’y en a aucun pour qui l’intersection, sur un diagramme de Venn, entre la grandeur et l’effacement révélerait une coïncidence aussi étendue, aussi stupéfiante. Au printemps 1930, dans un studio d’enregistrement humide et mal éclairé, dans une petite localité du Wisconsin, sur la rive ouest du lac Michigan, le duo a enregistré une série de chansons que l’on compte depuis plus d’un demi-siècle parmi les chefs-d’œuvre de la musique d’avant-guerre. Deux en particulier, “Motherless Child Blues” d’Elvie et “Last Kind Words Blues” de Geeshie, sont comme le double sommet de leur œuvre brève : elles ont inspiré des essais, des romans, des films et des reprises – l’histoire classique.

L’évangile selon Jerry Lee:post

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Dans ses atours de joueur de seconde zone depuis le temps où le chrome est chrome, Jerry Lee Lewis est assis dans la loge du Palomino Club, tenant mollement le quart d’une bouteille de Seagram à moitié vide sur ses genoux, tel le sceptre terni d’une ancienne royauté déchue.

Il a l’air de mauvaise humeur. Mais pas autant que la nuit passée, quand il a réglé son compte à cet idiot dans le public d’un mot rapide et cinglant, quand il a viré de sa loge ce briscard arrogant d’une maison de disques, quand, au petit matin, il mettait toute personne présente au défi de lever la main sur lui. J’ai tenté d’engager la conversation cette nuit-là, mais il était de trop mauvaise humeur. “Quel temps fera-t-il demain en Chine ?” m’a-t-il demandé. Je lui ai répondu que je n’en savais rien, que ça m’était égal ; et il a émis un grognement de dégoût. “Où veux-tu être enterré ?” m’a-t-il demandé. “Dans l’océan”, ai-je rétorqué. C’était mieux. Il a approuvé d’un signe de tête indulgent. Ça s’est passé comme ça la nuit dernière. À la fin, il ne parlait de rien d’autre que de la Bible. À la toute fin, il ne parlait plus du tout.

American folk:post

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J’habite à Berkeley, en Californie. Pendant vingt ans, j’ai gravi presque tous les jours la même colline escarpée et tortueuse jusqu’à un tronçon de rue pavée, du nom de Panoramic Way, qui débute derrière le stade de football de l’université de Californie. Quelques années plus tôt, alors que ma fascination pour l’Anthology of American Folk Music de Harry Smith – fascination qui remonte aux alentours de 1970 – virait à l’obsession, je me suis pris à imaginer que Smith avait vécu dans cette rue.

Je savais que Smith était né en 1923 à Portland (Oregon) et qu’il avait grandi à Seattle (Washington) et dans ses environs ; qu’il avait enregistré, adolescent, les cérémonies et les chants des tribus indiennes locales et qu’en 1940 il avait entrepris de collectionner des 78 tours de blues et de musique country des années 1920 et 1930 disponibles sur le marché. En 1952, à New York, alors que sa collection atteignait les dizaines de milliers, il avait réuni en une anthologie baptisée tout simplement, ou peut-être avec quelque arrogance, American Folk Music, quatre-vingt-quatre disques d’artistes oubliés : un recueil piraté, à la légalité pour le moins contestable, d’enregistrements édités à l’origine par des labels encore en activité tels que Columbia, Brunswick et Victor.

Justin Timberlake a un rhume:post

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Ken Ehrlich met en scène la cérémonie des Grammys depuis trente ans. Bedonnant, dégarni et vêtu de gris, il fait partie des hommes de l’ombre qui assurent le bon fonctionnement du show business. Je fais sa rencontre dans l’obscurité du grand dôme du Staples Center de Los Angeles. “Vous pouvez vous asseoir si vous la fermez”, grogne-t-il quand je me présente en chuchotant. D’un hochement de tête, il désigne en contrebas les bassistes qui calent leur rythme et les trompettistes qui poussent leurs instruments dans les aigus. La répétition qui s’annonce devrait durer plus d’une heure.

Ehrlich s’assure que chacun respecte le script minuté figurant dans son classeur à trois anneaux, grand ouvert sur un vaste plan de travail qu’un plaisantin a dressé comme une table de restaurant italien. Tout y est : la nappe en plastique à carreaux rouges et blancs, le plateau de fromage, la traditionnelle miche de pain à la semoule, la bouteille de chianti Ruffino dans son panier en osier et les bougies disposées sur deux vieux moniteurs Sony de dix-neuf pouces, permettant de visualiser la cérémonie telle que les téléspectateurs la regarderont depuis leur canapé.

Burn After Reading:post

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Le soir du 10 septembre 1976, à bord du vol TWA 355 reliant New York à Chicago, un passager barbu tendit une enveloppe scellée à un membre de l’équipage. “Ceci est un détournement d’avion” indiquait la première ligne du message. Ledit passager, un nationaliste croate du nom de Zvonko Busic y affirmait que cinq bombes avaient été placées dans l’avion, et une sixième déposée dans la consigne à bagages n° 5713 de Grand Central Station à Manhattan. Il conseillait au commandant de bord de contacter sans délai les autorités, car les informations supplémentaires se trouvaient dans la consigne. “La bombe ne peut être déclenchée qu’en pressant le détonateur, mais il faut la manipuler avec la plus grande prudence.”

Le championnat de mémorisation des États-Unis:post

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Une nouvelle épreuve devait faire son apparition au championnat de 2006 ; c’était une expérience qui n’avait jamais été tentée sur le circuit compétitif. Conçue pour donner satisfaction aux producteurs de HDNet, la chaîne du câble qui devait, pour la première fois de l’histoire, diffuser la compétition d’un bout à l’autre des États-Unis, elle avait reçu le nom tarabiscoté de “Trois fautes et adieu la fête”. Cinq hommes et femmes, invités de la “fête”, monteraient sur scène pour livrer dix types d’informations personnelles aux concurrents : leurs adresses, numéros de téléphone, passe-temps, dates d’anniversaire, plats préférés, noms de leurs animaux domestiques, modèles de leurs voitures, etc. L’épreuve évoquerait donc une situation plus proche de la vie réelle que cela n’avait jamais été le cas dans une compétition de mémorisation. Je ne savais pas du tout comment m’y préparer et, en toute franchise, je n’y songeai pas beaucoup pendant la plus grande partie de mon entraînement.