Month: décembre 2015

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Le Roman sanglant de Joseph Vacher:post

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Vacher, malgré ces aimables prémices, fut néanmoins nommé caporal. On raconte qu’il faisait respecter la discipline à coups de poing et que même un certain jour, il faillit étrangler l’un de ses subordonnés fautif. Aux yeux de tous, Vacher passait pour un fou mêlant à des idées de persécution un délire vaniteux assez ridicule : il aimait en effet à s’arracher devant témoins les cheveux et les poils des bras pour montrer combien il était insensible à la douleur.

Continuant ainsi sa carrière, menaçant les uns, manquant à plusieurs reprises de tuer ses camarades à coups de rasoir et tombant parfois dans des crises de stupeur d’où il ne sortait que pour crier “comme jamais, dira l’adjudant Griffoult, je n’ai entendu homme crier”. Vacher ne manqua pas de réussir et fut brillamment nommé sergent.

Le Cartel de Sinaloa:post

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C’était gravé dans la tête de tous ceux qui travaillaient pour Carlos “Charlie” Cuevas. Ses convoyeurs, ses guetteurs, ses distributeurs, les types à la planque – tous étaient au courant. La cargaison ne devait jamais être perdue de vue pendant le transport. Cuevas venait juste d’envoyer une équipe de sept hommes au poste frontière de Calexico, en Californie. Ils convoyaient une cargaison de cocaïne, dissimulée dans une Honda Accord bleue de 2003, à l’intérieur d’un compartiment fait sur mesure. La voiture se trouvait toujours côté mexicain, coincée dans une des dix files de véhicules avançant au compte-gouttes vers la douane américaine et le poste de contrôle de la protection des frontières. Des mendiants amputés remontaient la file, des hommes avec des chapeaux à larges bords colportaient babioles, “tamales” et churros.
Un guetteur signalait la progression de la cargaison depuis une voiture placée dans une des files à proximité. Cuevas, jonglant avec les téléphones portables, demandait à être constamment tenu informé. En cas de problème, son patron, à Sinaloa, au Mexique, exigerait des explications.

6 juin 1958 Caracas sans eau:post

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Après avoir écouté à la radio les informations de 7 heures, Samuel Burkart, un ingénieur allemand qui vivait seul dans un penthouse de l’avenue Caracas, dans le quartier de San Bernardino, descendit à l’épicerie du coin acheter une bouteille d’eau minérale pour pouvoir se raser. C’était le 6 juin 1958. Contrairement à ce qui se passait depuis son arrivée dix ans plus tôt, ce lundi matin semblait mortellement tranquille. Aucun bruit de voiture, aucune pétarade de mobylette ne parvenaient de l’avenue Urdaneta toute proche. Caracas avait l’air d’ une ville fantôme. La chaleur accablante des derniers jours s’était atténuée mais dans le ciel d’un bleu intense, pas un seul nuage ne bougeait. Dans les jardins des villas, sur le parterre de la place de l’étoile, les arbustes étaient morts. Le long des avenues, les arbres habituellement couverts de fleurs rouges et jaunes à cette époque de l’année dressaient leurs branches nues vers le ciel.

Senna le Brésilien:post

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La brume matinale ne tarderait pas à laisser place à un ciel immaculé. C’était l’annonce d’une belle journée de fin d’été. Tout à mon enthousiasme juvénile à l’idée d’assister à un championnat du monde de karting, j’étais loin de me douter que je m’acheminais vers une rencontre qui allait être déterminante pour ma vie d’homme et de journaliste. Une rencontre qui, ce matin de septembre 1978 au Mans, se matérialiserait sous la forme d’une silhouette vêtue de noir portant un casque jaune se découpant au milieu d’une meute de pilotes venus de tous les continents. Son style de pilotage révélait une osmose peu commune entre l’homme et sa frêle machine. Un tel flirt avec les lois de l’équilibre et un tel engagement physique ne pouvaient que susciter la curiosité et l’envie d’en savoir plus sur cet anonyme n° 70, identifié sur le programme comme étant un Brésilien de dix-huit ans ayant pour nom Ayrton da Silva et dont c’était la première apparition en Europe.

Une visite à son stand s’imposait. Alors que je m’attendais à découvrir un costaud à la mine décidée, je tombais sur un jeune homme à la silhouette frêle, aux traits fins, presque féminins. Son regard sombre, aux aguets, laissait transparaître quelque chose qui ressemblait à de la timidité ou peut-être à de la méfiance. À l’époque, celui qui allait devenir un pilote de légende ne maîtrisait pas trop l’anglais et ne parlait, outre le brésilien bien sûr, que l’italien, la langue d’origine de sa mère, Neide, mais aussi celle de son équipe de mécanos. C’est donc dans une sorte d’espéranto italo-britannique que notre premier échange eut lieu. Je crois pouvoir dire qu’entre nous est née ce jour-là une certaine complicité qui devait durer plus de quinze ans.

Dream a lithium dream:post

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Il y a, dans le sud de la Bolivie, une montagne baptisée Cerro Ricco – “montagne opulente”. C’est un rocher pâle et chauve, traversé d’étroites routes de terre qui s’entrecroisent comme des lacets. Plus de quatre mille tunnels miniers en ont si minutieusement grignoté l’intérieur que la montagne court le risque de s’effondrer. Les taudis agglomérés autour de sa base se répandent jusque dans la ville ancienne de Potosí, classée au patrimoine mondial de l’humanité. Evo Morales, président de la Bolivie, m’a dit récemment que ses compatriotes et lui-même considèrent Potosí comme un symbole de “pillage, d’exploitation, et d’humiliation”. Cette ville représente une Bolivie qui aurait pu exister : un pays qui aurait capitalisé sur son extraordinaire richesse en minerais pour devenir une grande puissance industrielle. Cette Bolivie-là aurait facilement pu s’imaginer en 1611, quand Potosí était l’une des plus grandes villes du monde, avec cent quatre-vingt mille habitants – à peu près comme Londres à la même époque. Bien que Potosí ait connu des débuts de ville minière, avec les bars et les salles de jeux qui accompagnent les hommes aux frontières, elle ne tarda pas à s’enrichir d’églises et de théâtres somptueux et d’une bonne douzaine d’académies de danse. Du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe, l’argent produit dans le Nouveau Monde provenait pour moitié de Cerro Rico. L’historien Carlos Mesa, qui fut président de la Bolivie de 2003 à 2005, m’a dit : “Pendant toute la durée de l’Empire espagnol, on disait : ‘C’est un vrai Potosí’ pour évoquer la chance ou la richesse.” Aujourd’hui, Potosí est un des endroits les plus pauvres d’un pays qui a longtemps été un des plus pauvres d’Amérique latine.

Elle lui demanda combien de temps il restait avant la fin du monde:post

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Ce qu’ils firent cet été-là fut de parcourir en Cadillac les plages des régions côtières du centre. Virditti inclinait le siège du conducteur, fermait les yeux et fredonnait les lèvres closes de vieilles chansons qu’une femme lui avait enregistrées sur une cassette des années plus tôt. “Memories are made of these”, entendait-on. Il tirait de temps à autre sur sa cigarette ; seul geste permettant, à qui l’aurait observé depuis l’extérieur, de savoir qu’il ne dormait pas. Très précisément depuis l’autre extrémité de la plage ; j’étais là, sur ma serviette, étendu sur le ventre, avec des jumelles.

Une saison de polo:post

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Les bonnes juments n’oublient jamais. Une fois qu’elles ont tout appris : à galoper sur le bon pied, à s’arrêter à temps, à être pleines d’allant mais néanmoins obéissantes, à se laisser monter avec élégance… Les années ont beau passer, elles savent se comporter comme il se doit. C’est pourquoi, dans l’univers du polo, les bonnes juments sont sacrées. Absolument sacrées.

On les bichonne, on les coiffe comme des courtisanes mais on ne les laisse pas s’accoupler, surtout pas au petit bonheur. Chaque mois, avec une ponctualité toute biologique, un groupe d’experts leur ponctionne un ovule qui est ensuite fécondé in vitro avec les spermatozoïdes d’un étalon. L’ embryon, lui non plus, ne leur revient pas. Il est implanté dans un ventre de substitution chargé de mener à bien la gestation. À ce stade, la valeur de l’embryon atteint déjà cinquante mille dollars.

24 heures dans la vie d’une femme cubaine:post

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Après trois ans d’absence, je suis retournée à La Havane. La ville n’est pas très différente physiquement. Pourtant, quelque chose a changé. Des petits cafés privés prolifèrent à l’entrée des maisons, des vendeurs ambulants traînent des carrioles chargées de légumes, des écriteaux “À vendre” ont fait leur apparition sur les maisons et les voitures, des gens à bicyclette vendent des gâteaux à la criée.

Dans les années 1990, après la chute du bloc socialiste, Cuba est entré dans une profonde crise économique que le pays n’a pas encore réussi à surmonter. D’un côté, le blocus imposé par les États-Unis depuis 1962 – qui est encore en vigueur – sévissait, de l’autre, ne restait que le vide. Malgré un discours officiel inchangé (“le socialisme ou la mort”), ce furent des années pendant lesquelles la société et ses valeurs commencèrent à se modifier. Le gouvernement autorisa le travail à son propre compte, ouvrit le pays au tourisme et aux investissements étrangers, entreprit d’assouplir la politique migratoire – même si aujourd’hui encore cette réforme tant espérée se fait attendre –, et enfin ouvrit la voie à une double économie : celle du dollar et celle de la monnaie nationale.

Les Bédouins du Néguev:post

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Au fil de la discussion, Aziz s’échauffe, sort son ordinateur portable d’une serviette et fait défiler un PowerPoint où l’on voit des photos de la destruction, encadrée par des centaines de policiers en tenue anti-émeute et survolée par les hélicoptères. On voit aussi la vie avant, les maisons, les troupeaux, les oliviers – “regardez comme on était bien”. Mais il veut surtout montrer les copies des documents ottomans manuscrits, avec sceaux et empreintes digitales, qui certifient que les habitants ont été reconnus propriétaires. “Tout le monde ici a un titre des Ottomans, puis des Anglais ; les gens payaient des taxes.” Les originaux, assure-t-il, sont entre les mains de personnes de confiance, littéralement “de personnes qui disent la vérité”.

Vers Prague, et retour:post

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Prague est l’une des villes de mon enfance. Je m’y suis rendu une fois à l’âge de six ans, en 1938. La terreur face à ce qui était sur le point d’advenir était partout palpable mais nous étions encore libres. Nous voyagions encore en première classe et mon père m’avait promis de m’acheter un train électrique à Prague.
Je me souviens du train de nuit que nous prîmes, mes parents et moi, de la délicate senteur de savon dans les toilettes, des couchettes longues et étroites et de la douce obscurité du mois de mai. J’ignorais encore, bien sûr, que ce voyage serait le dernier avec mes parents, que bientôt je serais seul, sans eux.

Les prophètes du volcan:post

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Le plus jeune doit avoir quatre ans. Les autres guère plus. En short, torse et pieds nus, ils se battent en duel avec des gants de boxe trop grands pour eux. Dans la jungle, au centre d’une clairière, les gamins se cognent. Assis en cercle autour d’eux, les adultes les regardent en riant. Les miniboxeurs prennent des airs furieux pour se filer de maladroits bourre-pifs. Devant la hargne des petits combattants, l’assistance est écroulée de rire.
Dans le village d’Ipekel, sur l’île de Tanna, au Vanuatu, la boxe est le jeu classique du samedi après-midi. Les gosses se fortifient tandis que les grands se paient une bonne tranche de rigolade. Parmi les spectateurs, le dos calé contre une grosse souche, le chef Maliwan Kelema s’est confortablement allongé sur le sol. Il crie de temps en temps pour encourager les boxeurs. La cinquantaine, poil grisonnant sur un torse athlétique, son visage est encadré de grosses rouflaquettes. Il porte un pagne de tissu bleu à fleurs blanches pour tout vêtement. C’est lui qui dirige ce village de trois cents personnes, installé au bord de la mer, dans la baie du Soufre.

Video games:post

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Il fut un temps où j’écrivais le matin, où j’allais courir en fin d’après-midi et où je passais la plupart de mes soirées à lire. Il fut un temps où je qualifiais d’improductifs ces jours où j’étais parvenu à ne rédiger qu’un millier de mots. Il fut un temps où je jouais aux jeux vidéo presque exclusivement avec des amis. Il fut un temps où il m’arrivait occasionnellement de jouer à en perdre la raison mais cela se produisait rarement plus d’une fois par mois. Il fut un temps où j’étais plus ou moins content.

Ce temps renvoie à des années relativement récentes (2001-2006), au cours desquelles j’ai écrit plusieurs livres et publié plus de cinquante articles de reportage ou de critique – un rendement total de, grosso modo, quatre mille cinq cents pages manuscrites. Je me suis rarement senti très discipliné pendant ces cinq années, même si cette confession, j’en suis conscient, permet toutes sortes d’attaques quant à mon éventuel manque de sincérité. Bien évidemment, j’étais discipliné. Ces derniers temps, au fil de l’année, j’ ai lu du début à la fin exactement deux ouvrages de fiction – à part ceux dont je rédigeais aussi la critique. Ces derniers temps, je joue aux jeux vidéo le matin, je joue aux jeux vidéo l’après-midi et je passe mes soirées à jouer aux jeux vidéo. Ces derniers temps, j’arrive encore à écrire mais les jours où je suis capable de le faire pendant plus de trois heures d’affilée sont aussi fréquents que les comètes dont la trajectoire approche la Terre.

Adieu à tout ca:post

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Rétrospectivement, il me semble que cette époque-là, quand je ne connaissais pas encore le nom de tous les ponts, fut plus heureuse que la suivante, mais peut-être comprendrez-vous ce que je veux dire au fur et à mesure. Ce que je veux vous raconter, c’est notamment ce que c’est d’être jeune à New York, comment six mois peuvent devenir huit ans avec la facilité trompeuse d’un fondu enchaîné, car c’est ainsi que m’apparaissent aujourd’hui ces années-là, en une longue séquence de fondus enchaînés sentimentaux et de vieux tours de passe-passe de cinéma – les fontaines du Seagram Building se fondent en flocons de neige, j’entre par une porte à tambour à vingt ans et j’en ressors beaucoup plus vieille et dans une rue différente. Mais surtout, ce que je veux vous expliquer, et au passage m’expliquer à moi-même peut-être, c’est pourquoi je ne vis plus à New York. On dit souvent que New York, c’est une ville réservée aux très riches et aux très pauvres. On dit moins souvent que New York est aussi, du moins pour ceux d’entre nous qui venaient d’ailleurs, une ville réservée aux très jeunes.

Loving versus Virginia:post

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Une nuit de juin 1958, Richard Perry Loving et sa femme Mildred dorment paisiblement dans leur maison près de Bowling Green en Virginie quand, soudain, sans sommation, le shérif du comté, sur dénonciation anonyme, fracture la porte et les arrête au beau milieu de la nuit. Leur crime ? Richard Loving est blanc, Mildred Loving, née Jeter, est noire d’origine cherokee. Tous deux amoureux, ils se sont mariés cinq semaines plus tôt, dans l’État voisin de Washington, dans le district de Columbia, en dépit de la loi interdisant les mariages mixtes dans l’Etat de Virginie. Les époux Loving plaident coupable et sont condamnés à vingt-cinq ans de prison pour violation de la loi de Virginie et forfaiture, condamnation avec sursis à condition qu’ils quittent immédiatement l’Etat. Non pas par activisme politique mais par la simple volonté de faire respecter leur droit individuel, les bien nommés époux Loving se lancent dans une odyssée judiciaire de neuf interminables années, qui va les mener devant la Cour suprême des Etats-Unis à Washington où ils “baptiseront” de leur nom l’un des arrêts pivots de l’histoire américaine récente : “Loving versus Virginia”. Au cœur de l’affaire, une histoire d’amour.

Le Cercle des espions disparus:post

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C’est un club fermé, sans enseigne ni statuts. Il est réservé aux écrivains et aux espions, aux espions-écrivains et vice versa. Ses créateurs voulaient lui donner le nom d’un grand homme de lettres qui fut aussi un homme d’affaires prospère. Ce sera Caron, comme Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799), l’insolent touche-à-tout du siècle des Lumières. Au cercle Caron, on aime à fumer le cigare, à bien boire et à bien manger, avec la “sainte mission de toujours refaire le monde” au prix d’une langue “sévère” et d’un “message politique et humaniste”, dixit le site Internet.

Horrible Méditerranée:post

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Dans quelle mesure la chasse à la maltaise est une “culture” et une “tradition”, cela reste une question discutable. Si la chasse de printemps, l’abattage et l’empaillage d’oiseaux rares sont indéniablement des traditions anciennes, le phénomène des massacres à l’aveugle ne semble pas être apparu avant les années 1960, lorsque Malte est devenue indépendante et a commencé à prospérer. De fait, Malte représente une imparable réfutation de la théorie qui veut que la richesse d’une société mène à une meilleure politique environnementale. La richesse a apporté à Malte des armes plus sophistiquées, plus d’argent pour payer les taxidermistes, plus de voitures et de meilleures routes, ce qui a rendu la campagne plus accessible aux chasseurs. Alors que la chasse avait jadis été une tradition transmise de père en fils, elle était maintenant devenue le passe-temps des bandes de jeunes désœuvrés.

Mystery Box:post

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Depuis les attaques terroristes du 11 septembre, experts en sécurité et hommes politiques accusent les conteneurs de représenter un risque majeur. Leur principale inquiétude est qu’ils puissent servir à acheminer une arme nucléaire, en pièces détachées ou d’un seul tenant. Mais la confection d’une bombe nucléaire est extrêmement complexe et les composants indispensables ne courent pas vraiment les rues. Dans les milieux autorisés, la bombe nucléaire est considérée comme une menace “à fortes conséquences et faible probabilité”.

De sang chaud:post

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Je voudrais dire au lecteur de s’arrêter ici, de ne pas poursuivre. De ne pas regarder ces photos. Je voudrais dire au lecteur de ne pas ramener ce journal chez lui s’il a des enfants, de ne pas le laisser traîner s’il a une fiancée, un compagnon, un mari ou une femme qui n’a pas l’estomac bien accroché ou qui est incapable de supporter certaines images. Je voudrais dire au lecteur de dissimuler les pages, de les garder cachées. Je voudrais dire au lecteur qui risquerait de montrer ce journal à son voisin dans le train, le métro, le bus, de ne pas l’ouvrir. Je voudrais lui conseiller tout cela, mais je ne le fais pas. Au contraire, je sais parfaitement qu’en écrivant ces mots, je l’incite à les regarder, ces photos, peut-être même avec une plus grande attention. Mais je ne peux faire autrement que de l’avertir : elles le dérangeront, et non parce qu’elles montrent l’impact des balles et le martyr des corps. Ce qu’elles racontent ne s’arrête pas là. Ces photos décrivent un monde et ses rouages.

Jeremy & Theresa:post

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C’est à Washington, par une pluvieuse nuit d’octobre, que la famille et les amis de Jeremy Blake se sont réunis lors d’une messe privée à la Corcoran Gallery of Art pour lui rendre un dernier hommage. Blake, artiste de trente-cinq ans reconnu dans le monde entier pour ses “peintures en mouvement” aussi intenses que torturées, figures animées associant l’art abstrait et le film numérique, a mis fin à ses jours dans la nuit du 17 juillet 2007, s’enfonçant dans l’océan Atlantique à Rockaway Beach, dans le Queens.

“Je vais rejoindre la charmante Theresa”, pouvait-on lire au dos d’une carte de visite posée près de ses vêtements, sur la plage. Des hélicoptères de police sondèrent les alentours des jours entiers dans l’espoir de le trouver vivant. Ses proches priaient pour qu’il le soit, avançant que son passeport avait disparu et qu’il avait acheté un billet d’avion pour l’Allemagne. Mais le 22 juillet, un pêcheur aperçut son corps flottant à vingt-cinq kilomètres au large de Sea Girt, dans le New Jersey.

Prolétaires et Forçats:post

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“Le genou de Lloyd.” Prologue : Liège. Alors que la plus grande course cycliste du monde capitaliste s’élance de Liège, une non-polémique ne prendra pas corps. Sans doute pourrait-on, en hommage au film d’Eric Rohmer, nommer cette non-affaire “Le genou de Lloyd”. Je veux parler de Lloyd Mondory, sprinter de l’équipe A.G.2R.-La Mondiale. Aujourd’hui, alors que sa famille avait loué un camping-car pour suivre le fils prodige durant le Tour, Lloyd a dû se résoudre à abandonner en raison d’une douleur au genou – problème récurrent chez lui – due à un problème de cales mal réglées durant le Tour de Suisse. Il espérait la voir s’estomper au championnat de France mais la pluie n’a rien arrangé ce jour-là. Il n’a rien osé dire de sa souffrance à ses coéquipiers, pas plus qu’ à son directeur sportif. Mais sa douleur n’a pas cessé d’empirer jusqu’à ce que, comble d’ironie, on lui annonce sa sélection pour le Tour de France. Sa joie fut aussitôt contrariée par ce que lui-même savait sans oser en parler à son entourage. Vendre la mèche, c’était renoncer à son rêve.

La Folie merveilleuse:post

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Justo Gallego Martínez construit une cathédrale de gravats et de ferraille depuis cinquante ans. Quand il a commencé, le mur venait d’être érigé à Berlin et Youri Gagarine contemplait la Terre depuis l’espace. Gallego a aujourd’hui quatre-vingt-six ans mais il continue de se lever tous les matins à sept heures et d’enfiler son bleu de travail. Comme il a souvent froid, il s’enroule, même en été, une écharpe autour du cou et se met un bonnet rouge feu sur la tête. Gallego ressemble alors un peu à l’unique moine d’un ordre singulier.

Opération Dubaï:post

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Lundi 18 janvier 2010, au matin

A 6 h 45, les premiers membres d’un commando d’élite israélien atterrissent à l’aéroport international de Dubaï et se déploient dans toute la ville en attendant de recevoir de nouvelles instructions. Au cours des dix-neuf heures qui vont suivre, le reste de l’équipe – au moins vingt-sept personnes – va débarquer d’avions en provenance de Zurich, Rome, Paris et Francfort. Ils sont venus assassiner un homme dénommé Mahmoud al-Mabhouh, un chef du Hamas connu du Mossad – les services de renseignements israéliens – sous le nom de code “Ecran Plasma”.

La plupart des agents présents appartiennent à une division ultrasecrète du Mossad baptisée Césarée, une organisation autonome chargée de missions éminemment dangereuses et décisives : assassinats, sabotages, infiltrations d’installations de haute sécurité. Appelés “combattants” de Césarée, ses membres constituent l’élite du Mossad. Rarement en contact avec les autres agents, ils se tiennent à l’écart de la division centrale située au nord de Tel-Aviv et sont soumis à un entraînement intensif dans des lieux auxquels personne d’autre n’a accès. Interdiction leur est faite d’utiliser leur vrai nom, y compris dans le cadre de conversations privées, et leur famille – à l’exception de leur épouse – et leurs amis les plus proches ne sont pas au courant de leur activité.

Palestinien et activiste… musical:post

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Le professeur m’a laissé le choix entre quatre instruments : le violon, l’alto, le violoncelle ou la contrebasse. Je voulais absolument faire du violon parce que, pour être tout à fait franc, c’était le seul instrument que je connaissais alors. Les autres, je ne les avais jamais vus ailleurs qu’à la télévision. Lorsque j’ai été orienté vers l’alto en raison de la longueur de mes doigts, je ne m’en suis pas trouvé plus perturbé que cela. Pour moi, en effet, il s’agissait d’un violon, certes un peu plus grand, mais un violon tout de même.

En descendant Broad Street:post

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Lorsque je suis arrivé ici, au Libéria, en 1973, de retour de mes études en Angleterre, toutes ces maisons de tôle n’existaient pas. La maison où on pleure là-haut, celle-là était là. Le troisième toit qu’on voit derrière était là aussi. Il n’y avait rien d’autre. Je me souviens de la première chose que j’ai faite : j’ai pris mon cousin avec moi et nous avons descendu cette rue. Broad Street. Tu vois, j’avais tout le chemin et toute la vie devant moi. Et cent dollars en poche.

Merci pour le feu:post

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Mrs Hanson était une jolie femme à la quarantaine un peu fanée qui vendait des corsets et des gaines, en représentation hors de Chicago. Durant de nombreuses années, son secteur avait balayé Toledo, Lima, Springfield, Colombus, Indianapolis, et Fort Wayne, et son transfert dans le district Iowa-Kansas-Missouri valait une promotion, car son entreprise se trouvait plus solidement implantée à l’ouest de l’Ohio.

À l’est, elle bavardait volontiers avec sa clientèle et, à la conclusion d’une affaire, il n’était pas rare qu’elle se vît offrir un verre ou une cigarette dans le bureau du responsable des achats. Mais elle découvrit bientôt qu’il en allait autrement dans son nouveau district.

New York is Killing Me:post

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Scott-Heron se définit lui-même comme un “bluesologiste”. Âgé de soixante et un ans, grand et maigre, il vit à Harlem dans un appartement situé en rez-de-chaussée qu’il ne quitte pas souvent. C’est un espace long et étroit. Un dessus-de-lit vient recouvrir la porte coulissante en verre qui mène au patio, occultant ainsi toute source de lumière et conférant à l’endroit l’aspect d’une cellule de moine, ou d’une cave. Un jour où je le croyais sorti, j’ai appelé chez lui pour laisser un message. Il a répondu en disant : “Je suis là. Où est-ce qu’un homme des cavernes pourrait être, si ce n’est dans sa caverne ?”

Le Mozart américain:post

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“Je souhaiterais vous poser une question, monsieur le Président.

– Allez-y, me répond-il.

– Vous êtes plutôt Kanye ou Jay-Z ?

– Jay-Z”, tranche-t-il avec un sourire, comme si le doute n’était pas permis.

Le débat le plus significatif de la pop culture actuelle est l’opposition entre Kanye West et Jay-Z, les meilleurs artistes hip-hop du monde. Et lorsqu’il s’agit de départager les deux rappeurs, qui dernièrement ont uni leurs forces pour une gigantesque tournée aux États-Unis intitulée Watch the Throne, Barack Obama ne cache pas sa préférence pour Jay-Z.

Boum Boum Tchac Bling Bling:post

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Pas un rappeur en vue. Dans les allées du parc des expositions de Bâle, la population est majoritairement blanche, entre deux âges et aisée. C’est ici que, chaque année, les joailliers et les horlogers viennent présenter leurs dernières créations lors du salon annuel Baselworld. Le 28 mars 2011, c’est le cocktail d’inauguration, et chaque exposant s’efforce d’éclipser tous les autres à coup d’annonces spectaculaires et de débauches de célébrités. Sur le stand du New-Yorkais Jacob & Co, Milla Jovovich parade, les mains, les bras et le cou criblés de pierreries. Derrière l’actrice, le fondateur du groupe Jacob Arabo décrit les bijoux qu’elle porte à la presse et aux invités. Jusqu’en 2006, on croisait plus facilement le diamantaire dans les boîtes hip-hop de la côte est des États-Unis qu’en Suisse : fournisseur attitré des rappeurs, l’homme était surnommé le “roi du Bling” et remercié dans plus de soixante-dix chansons. Mais son ascension fulgurante a été stoppée nette en 2008 par une condamnation à deux ans et demi de prison pour blanchiment. Libre depuis six mois, il fait à Bâle sa première réapparition publique. Son histoire illustre les relations complexes qu’entretient le milieu du rap avec les diamants.

Les ‘Tos:post

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Au cours des récits que je fis à mes amis de divers épisodes concernant mes voyages en mer, j’eus parfois l’occasion de mentionner les ‘Tos, ce peuple singulier, soit en tant que connaissances, soit en tant que compagnons d’équipage. Les allusions se faisaient de façon fort naturelle et innocente. Par exemple, je disais “Les deux ‘Tos”, comme l’on dirait “Les deux Hollandais” ou “Les deux Indiens”. En fait, étant moi-même si familier avec les ‘Tos, il me semblait qu’il devait en être de même pour tout le monde. Mais loin de là. Mes auditeurs ouvraient grand les yeux, l’air de dire “Que diable peut bien être un ‘Tos ?” Pour les éclairer, je devais m’interrompre souvent, ce qui n’allait pas sans nuire au bon déroulement de mes récits. C’est pour remédier audit désagrément qu’un ami me fit valoir la pertinence d’écrire quelque compte-rendu sur les ‘Tos et de le faire publier.

Guantánamo autrement:post

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Costa Rica, Salvador, Jamaïca, Filipinas… Où suis-je ? Suivant les indications affichées sur les vingt-cinq kilomètres d’un bitume parcouru sous un cagnard tropical, je serais donc passé en moins d’une heure d’Amérique centrale en Asie du sud-est, avec escales diverses en mer Caraïbes.

Explication ! Au sortir du hameau El Escribo, l’autopista, parsemée de panneaux annonçant ces destinations lointaines mais trompeuses, mène à Guantánamo. Plus de doute. Un dazibao immense surplombe la route : Guantánamo Nuestro Partido A la Vanguardia En La Batalla De Ideas. On entre dans l’Histoire pour très rapidement plonger dans le fantasme. Le décor laisse présager un territoire tabou. Route déserte, montagnes austères au loin et une intime sensation de pénétrer dans un domaine interdit. Du moins étroitement surveillé. L’intuition se confirme. Sur ce rare ruban de bitume sans ornières, l’excès de vitesse est fermement déconseillé. La limitation du compteur est implicitement imposée par cet écriteau au ton comminatoire : Punto de control. Et cela a peu à voir avec la sécurité routière.

Qui l’encre, qui le texte ?:post

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C’est un souvenir imprécis.

Vue frontale. Noir et blanc. Un homme est assis derrière une table. C’est un film. Sur la table, un encrier, du papier, une plume. Il trempe la plume dans l’encrier. Il écrit. Quoi ? Je ne sais plus. Ni même si le spectateur le sait.

Il écrit. Aucun doute là-dessus. Dans mon souvenir, on voit la plume diviser la feuille en boucles d’écriture. En gros plan. Macrophotographie. Ou pas tout de suite ? Ce n’est pas à exclure. La caméra nous laisse peut-être attendre avant de s’approcher. Peut-être aussi passe-t-elle parfois derrière lui avant de s’en retourner de face. Ou bien rien ne bouge. C’est très possible. Je dirais que c’est un plan séquence, à moins que le temps ne m’ait gommé le montage. Ce souvenir a vingt ans. Incapable de me rappeler si l’on peut lire ou non ce qu’il écrit. Ça changerait peut-être tout. Peut-être écrit-il des mots venant exactement contredire les miens.

Sex Without Pistols:post

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JOUR 2

17 h 11 Audition de Tatiana Anossova, quêteuse. C’est une femme d’un certain âge coiffée d’une tresse couronne, vêtue d’un gilet blanc et d’une jupe.

17 h 32 “Je travaille à la cathédrale du Christ-Sauveur depuis neuf ans…” Anossova est au bord des larmes. “À ce moment-là, j’étais à mon poste, je vendais des bougies à deux paroissiennes. J’ai entendu des cris déchirants. Et là, je vois, sur l’ambon… Je ne pouvais pas laisser l’argent sans surveillance, j’ai demandé aux paroissiennes de garder mon poste, et j’ai couru. Elles étaient là, vêtues de robes multicolores. Elles ont commencé à balancer leurs bras, leurs jambes. Je n’ai pas entendu ce qu’elles criaient, grâce à Dieu. Elles ne m’ont pas simplement injuriée, elles m’ont craché à la figure, elles ont craché sur mon Seigneur !”

17 h 37 Elle continue : “Je ne pouvais pas monter sur l’ambon : je suis une femme. Je me suis tournée vers un groupe de fidèles qui se tenaient contre le mur : ‘Pourquoi restez-vous debout ainsi ! Le Temple est profané !!!’ Deux hommes se sont avancés, puis Vinogradov est arrivé. Une des paroissiennes pleurait, une autre a fait un malaise cardiaque, à une troisième il a fallu donner un anxiolytique. Depuis, je pleure souvent. Personnellement, je manipule de l’argent dans mon travail, et je n’arrive plus à me concentrer pour rendre la monnaie. C’était un acte de haine, un acte hostile dirigé contre nous. Mon âme est meurtrie encore aujourd’ hui, j’aimerais vous la montrer, mon âme.”

Une belle mort:post

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Récemment, mon père décéda d’un lymphome T. Bien que sa mort n’ait pas été aussi effrayante que certaines de celles auxquelles j’avais assisté, ou dont j’avais lu le récit, elle ne fut pas facile non plus. Cet homme courageux, qui toute sa vie durant ne s’était plaint que rarement, éprouva pendant des mois des douleurs et, j’imagine, des craintes (bien qu’il n’en parlât jamais) dues au chagrin, à l’épuisement et aux faux espoirs. Puis la véritable horreur commença. La dernière fois que je le vis sur ses pieds, par une journée d’hiver nuageuse, nous allâmes marcher ensemble, et il nous fit traverser un petit cimetière. Il me dit qu’il n’avait pas peur de la mort. Il avait la chance d’avoir de bons médecins et de bons amis. Et la chance, pensait-il, d’habiter en Suisse, qui autorise le suicide assisté. Malheureusement, il n’avait pas préalablement signé le formulaire approprié, si bien que quand l’heure vint, l’organisation sur laquelle il comptait ne put lui venir en aide. Je n’oublierai jamais le coup de fil désespéré que ma sœur donna à l’association ; d’abord elle plaida, puis elle renonça. Pas plus que je n’oublierai, bien sûr, le dimanche où j’arrivai au chevet de son lit de mort, quand cette âme stoïque, larmes aux yeux, dit au médecin : “Je veux mourir aujourd’hui.” Mais il ne le pouvait pas.

Lettre ouverte à Wikipédia:post

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Cher(e) Wikipédia,

Je suis Philip Roth. J’ai récemment eu des raisons de lire pour la première fois l’entrée de Wikipédia portant sur mon roman intitulé La Tache. Cette entrée comporte une affirmation inexacte que j’aimerais vous demander de retirer. Cet élément est parvenu à Wikipédia non depuis la sphère de la véracité mais depuis celle du bavardage des commères du milieu littéraire – il n’y a dedans aucune vérité.

Cependant, il y a peu de temps, lorsque j’ai sollicité la suppression de cette erreur et de deux autres auprès d’un représentant officiel de Wikipédia, celui-ci s’est vu répondre par “l’administrateur de Wikipédia en anglais” – dans une lettre datée du 25 août à lui adressée – que moi, Roth, je n’étais pas une source crédible : “Je comprends que, selon vous, l’auteur est l’autorité suprême en ce qui concerne son propre travail, écrit l’administrateur de Wikipédia, mais il nous faut des sources secondaires.”

Kolossoff:post

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Je fumai en scrutant mes yeux dans le miroir pour voir le reflet de mon reflet dans le brillant de mes pupilles. Ce reflet dans le reflet sera plus tard la musique qui sortira de mes doigts. La transformation opérait. À quelques minutes de la performance, je n’étais déjà plus le même Kolossoff. Je m’étais préparé à cette mutation depuis le petit matin. Je n’avais parlé à personne, je n’avais pas vraiment vécu.

Une bonne tasse de thé:post

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Si, dans le premier livre de cuisine venu, vous cherchez la rubrique “thé”, vous ne la trouverez sans doute pas. Au mieux, vous découvrirez quelques instructions sommaires qui n’énonceront aucune méthode quant à plusieurs des points les plus importants.

Les suspects portaient des Louboutin:post

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Dans son rapport sur le Bling Ring, la police de Los Angeles rapporte que selon Nick Prugo, Rachel Lee – jeune fille américano-coréenne originaire de Calabasas, une banlieue chic de la Vallée – était “l’élément moteur du gang des cambrioleurs. Sa motivation provenait de son désir de posséder la garde-robe haute couture des célébrités d’Hollywood qu’elle admirait”. Neiers, Prugo, Lee, Tamayo, leur amie Courtney Ames, dix-neuf ans, et Roy Lopez Jr. – un videur de vingt-sept ans qu’Ames avait rencontré à un moment où elle-même était serveuse – sont tous inculpés dans cette affaire.

Enquête sur tous les tableaux:post

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Le présent article émane de propos rapportés issus de sources confidentielles et augmentés d’un certain nombre de données publiques. Il s’agit ici de comprendre les mécanismes qui amènent à la confrontation de trois univers bien précis : celui de la circulation des œuvres d’art, celui du brigandage à une échelle internationale et celui de l’exercice de la justice.

Le théâtre des opérations:post

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L’air a porté notre avion jusqu’à une nouvelle mission. Dehors, l’appareil tiède qui vient d’atterrir, ce n’est pas la chaleur du réacteur, mais le désert ! Au nord la Libye, à l’est le Darfour. Partout le vide, bouché par un air étouffant, un air de vacances au bord de la guerre… Alors bois, photographe ! Bois avant que le désert ne te mange. Et couvre ton Nikon bientôt bouillant ! Déjà trop tard quand tu as soif !

Mes Légionnaires:post

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L’adjectif “étrangère” qui qualifie la Légion ne réfère pas à de lointains champs de bataille. Il renvoie à la Légion elle-même, corps de l’armée commandé par des officiers français mais dont les rangs comptent des volontaires venus du monde entier. L’été dernier, j’en rencontre une vingtaine sur le tertre herbeux d’une ferme près des Pyrénées françaises.

La Maladie du rire:post

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C’était, je crois, au cours d’une courte pause entre deux opérations bénignes. J’étais adossé près d’une lucarne en train de contempler rêveusement un marabout perché au faîte du grand jujubier qui recouvrait la cour de son ombre philanthrope lorsque l’infirmière en chef vint m’avertir d’un problème. Elle refusa de m’en dire plus – ne sachant peut-être pas ce qu’il y avait de plus à dire que le mot problème – et me conduisit en toute hâte dans le hall d’accueil qui, habituellement désert, grouillait d’une agitation novice. Mes sens s’aiguisèrent comme ils n’en avaient plus l’habitude depuis des semaines, et ma contenance apathique, qui s’était progressivement accoutumée à la douce vacuité du district, changea en un instant.

La République introuvable:post

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I. Élections-surprise

22 février 2013

La première surprise, pour nous qui n’avions pas vu de campagne électorale en Italie depuis des années, fut de constater l’absence d’affichage ou presque. Désormais, à gauche comme à droite, les campagnes électorales se déroulent essentiellement à la TV, dans les talk-shows, pas sur le terrain. Les meetings, surtout ceux que l’on tient en plein air, sur les places, sont devenus une denrée rare pour les partis traditionnels. Pour Beppe Grillo et son MoVimento 5 Stelle (M5S), qui rassemble les “ni droite ni gauche” italiens, le “peuple honnête” qui se bat contre “la caste” et les politiciens, ce fut tout le contraire : ils ont refusé de participer à la moindre émission de TV et ont donné la priorité aux réunions sur les places publiques.

L’État maladif des médias japonais:post

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Les grands journaux nationaux ne nous informent que de ce qui est “respectable”, “politiquement correct”, “hors de portée de toute critique et de tout reproche de la part de quiconque”; les télévisions et les magazines ne choisissent que des sujets “sans importance”, de ce qui “ne devrait pas être dit” et de ce qui “rend les gens furieux et mal à l’aise”. Leur tâche est “divisée”. Voilà la cause de la dégradation des médias et les responsables des médias ne s’en rendent pas compte.

La Désertion des animaux du zoo:post

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Au début, Lutz pensa que ce qu’il avait toujours craint s’était réalisé : Thompson avait été mis en pièce par quelques-uns de ses animaux et deux d’entre eux étaient en liberté. Mais la radio de sa voiture de patrouille l’informe alors qu’il y a plus de deux animaux en liberté, et il ne sait plus quoi penser. Lutz donne l’ordre d’alerter immédiatement la population : les riverains doivent rester chez eux ; les personnes qui sont sur la route ne doivent pas sortir de leur véhicule. Peu après, des panneaux de signalisation lumineux commencent à clignoter sur le bord de l’autoroute I-70 : “ATTENTION ANIMAUX EXOTIQUES.”

La Chandelle de suif:post

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Ça bouillait et ça bouillonnait, tandis que le feu flambait sous le chaudron – c’était le berceau de la chandelle de suif – et la chandelle s’écoulait de ce berceau douillet, sa forme était parfaite, elle était d’une seule pièce, svelte et d’un blanc éclatant. Elle était ainsi faite que tous ceux qui la voyaient étaient persuadés qu’elle renfermait la promesse d’un avenir lumineux et brillant, et ces promesses que tout le monde pouvait voir, elle allait vraiment les tenir et les réaliser.

Admir:post

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“Je suis né trois fois”, dit-il soudain, et la fumée se met à danser sous l’inflexion de son souffle. Sa mère, rompant un silence de plusieurs jours, dit : “Si seulement tu étais mort à la guerre.” Puis elle pense à sa pension de veuve et que la Bosnie-Herzégovine la paierait bien davantage s’il était un Šehid, mort à la guerre pour son pays de lys. Mais au lieu de mourir, il est né trois fois. La femme en face de lui, à la bouche tendue par la curiosité, va apprendre comment tout est arrivé.

Vacances de printemps arabe:post

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Chris Jeon atterrit au Caire le 23 août 2011, un mois avant la reprise des cours. Ses parents croyaient qu’il allait faire du tourisme en Égypte. Il apporta un jean, trois chemises, une veste en cuir, une paire de Converse et deux préservatifs. Une fois au Caire, il sauta dans un bus qui le mena jusqu’à Saloum, à la frontière libyenne.

Des rebelles tenaient le poste de garde. Ils jouaient à FIFA sur leur PlayStation lorsque Jeon apparut. Il les salua. Ils jetèrent un œil à son passeport et s’en retournèrent à leur jeu vidéo. “OK, cool”, dit Jeon. Il pénétra à pied sur le territoire libyen, sans plus de formalités.

Comandante Yankee:post

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Pendant un instant, il disparut dans la nuit de La Havane. Il était comme invisible, comme il l’avait été avant d’arriver à Cuba, au cœur de la révolution. Puis la lumière des projecteurs l’illumina violemment, lui, William Alexander Morgan, le grand comandante yankee. Il se tenait debout, le dos contre un mur grêlé de balles, dans une douve vide entourant La Cabaña – une forteresse du XVIIIe siècle transformée en prison et située sur une falaise surplombant le port de La Havane. Des taches de sang étaient en train de sécher au sol, là où on venait de tuer un ami à lui, quelques instants plus tôt. Morgan, alors âgé de trente-deux ans, cligna des yeux sous la lumière. Il faisait face à un peloton d’exécution.

Mobutu Zone:post

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La route est déserte, l’endroit loin de tout. Je commence à regretter la horde de fonctionnaires qui me traquait jusque-là, à l’aéroport. Mauvaise couleur du carnet de vaccination, ordre de mission corné, tampon d’un improbable ministre du Voyage… leur inventivité dans l’art du racket m’éblouit. La rage impuissante de mes débuts en RDC s’est évanouie avec la connaissance du pays, de sa corruption endémique érigée en système par un État démissionnaire.

Quatre-heures:post

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Décembre dans l’Empire romain, les enfants sages reçoivent comme étrennes des petits gâteaux à l’effigie des divinités du panthéon.

Les Fusillés:post

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À partir des années 1960, Ceauşescu s’attribua le titre de chasseur en chef des forêts roumaines ainsi que celui de commandant en chef des armées. Il s’arrogea des centaines de territoires de chasse – les plus riches en gros gibier – pour son usage personnel. Les gestionnaires de forêt au niveau des districts, les responsables de chasse qui travaillaient pour eux et les gardes-chasse qui rendaient compte aux responsables en vinrent à prendre conscience que tout animal de valeur évoluant dans leur périmètre entrait de fait dans la catégorie des proies que le Conducător aimait tirer. Ils se persuadèrent qu’encourager bassement sa soif de sang et sa cupidité paresseuse pour les trophées constituait un bon calcul politique. Les districts se battaient entre eux pour obtenir les visites de Ceauşescu, présentant comme des cibles faciles à ses luxueux fusils d’importation de gros ours et des cerfs colossaux.

Un commis voyageur à Pékin:post

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6 avril

Aujourd’hui, il est particulièrement clair que le Commis doit être représenté comme une corde tendue entre deux bataillons de la hiérarchie artistique en guerre. L’agence de presse Xinhua a publié un bref descriptif de la pièce, qui symboliserait selon eux la condamnation du monopole capitaliste, point final. Mais les comédiens restent de marbre, méprisant ce que personne ne lit hormis les étrangers et les journalistes. Quoi qu’il en soit, j’ai le sentiment d’être à l’abri de ce conflit idéologique. Toutes les personnes impliquées dans la production souhaitent que la pièce soit considérée comme un document humain valable également en Chine.

Le Grand Tour:post

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Nous n’aurons pas l’occasion de voir le Luxembourg à la lumière du jour. Nous quittons le Best Western à l’aube, pour nous retrouver rapidement sur l’Autobahn. Li nous demande de nous assurer de n’avoir rien oublié : certains de ses précédents voyageurs avaient l’habitude de cacher de l’argent dans la chasse d’eau des toilettes ou dans les conduits d’aération. “Le pire cas que j’aie eu à gérer, affirme-t-il, c’était un client qui avait cousu de l’argent dans l’ourlet des rideaux.” Nous prenons la direction de notre première étape, la modeste ville de Trier, en Allemagne. Si ce nom n’évoque pas grand-chose à la plupart des visiteurs se rendant pour la première fois en Europe, Trier est devenue étrangement populaire chez les touristes chinois depuis quelques dizaines d’années, lorsque des délégations du Parti communiste ont commencé à y affluer pour voir le lieu de naissance de Karl Marx. Mon guide touristique chinois, écrit par un diplomate à la retraite, indique que l’endroit a été surnommé “La Mecque des Chinois”.

13 x Chungking:post

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Un building dresse sa silhouette incongrue au bas de l’artère la plus commerçante de Hong Kong. Quatre caractères dorés se détachent sur sa façade. 重慶大廈, Chungking Mansions. Au-dessus d’eux, les écrans géants crachent réclames, bandes-annonces, buts homériques. À côté, les néons déclament les vers de la poésie consumériste, tax free, Canon/Motorola/Sony. Au-dessous, la marée humaine affiche un fort coefficient. Rabatteurs pakistanais, touristes britanniques, cuistots sri lankais, proxénètes nigérians, mafieux russes ou négociants sénégalais : le monde se croise, devant cette fourmilière. Bienvenue à Chungking.

De l’intelligence du dément:post

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Parmi les nombreuses lettres que je reçois, je trouve sans cesse celles d’hommes et de femmes me relatant leur passage en hôpital psychiatrique. Quand je les lis ou que je rencontre ces personnes, je me sens la plupart du temps dépassé par la situation, les renvoie à des avocats, donne des adresses de médecins ou d’organisations de soutien aux patients en espérant leur apporter un peu d’aide.

Et puis, une lettre où il était question de Goddelau est arrivée. Goddelau – ce simple nom m’a rappelé une expérience que j’avais presque refoulée au fil des années. C’était ma première expérience de la psychiatrie, il y a plus de quarante ans. En 1967, je m’étais fait passer pour alcoolique et interner à la clinique de Goddelau dans la ville hessoise de Riedstadt et avais consacré un de mes treize reportages indésirables à cette période passée en “asile de fous”.