Senna le Brésilien

photographe
Robert Hallam
Senna le Brésilien

Ayrton Senna était considéré comme un pilote de légende. En 1994, à Imola, la mort sut toutefois le rattraper. Venue le cueillir prématurément à bord de sa monoplace qu’elle changea en cercueil, elle paracheva son œuvre, faisant de lui un mythe. Tête brulée ou chasseur d’absolu, “Magic” Senna était devenu au fil du temps la figure de proue d’un pays qui se rêvait un destin sur le devant de la scène internationale. Retraçant la vie du champion, Lionel Froissart montre en quoi Senna reste pour beaucoup bien plus qu’un pilote d’exception.

La brume matinale ne tarderait pas à laisser place à un ciel immaculé. C’était l’annonce d’une belle journée de fin d’été. Tout à mon enthousiasme juvénile à l’idée d’assister à un championnat du monde de karting, j’étais loin de me douter que je m’acheminais vers une rencontre qui allait être déterminante pour ma vie d’homme et de journaliste. Une rencontre qui, ce matin de septembre 1978 au Mans, se matérialiserait sous la forme d’une silhouette vêtue de noir portant un casque jaune se découpant au milieu d’une meute de pilotes venus de tous les continents. Son style de pilotage révélait une osmose peu commune entre l’homme et sa frêle machine. Un tel flirt avec les lois de l’équilibre et un tel engagement physique ne pouvaient que susciter la curiosité et l’envie d’en savoir plus sur cet anonyme n° 70, identifié sur le programme comme étant un Brésilien de dix-huit ans ayant pour nom Ayrton da Silva et dont c’était la première apparition en Europe.

Une visite à son stand s’imposait. Alors que je m’attendais à découvrir un costaud à la mine décidée, je tombais sur un jeune homme à la silhouette frêle, aux traits fins, presque féminins. Son regard sombre, aux aguets, laissait transparaître quelque chose qui ressemblait à de la timidité ou peut-être à de la méfiance. À l’époque, celui qui allait devenir un pilote de légende ne maîtrisait pas trop l’anglais et ne parlait, outre le brésilien bien sûr, que l’italien, la langue d’origine de sa mère, Neide, mais aussi celle de son équipe de mécanos. C’est donc dans une sorte d’espéranto italo-britannique que notre premier échange eut lieu. Je crois pouvoir dire qu’entre nous est née ce jour-là une certaine complicité qui devait durer plus de quinze ans.

“Senna le Brésiien” est un texte inédit. © Feuilleton, 2012