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American folk:post

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J’habite à Berkeley, en Californie. Pendant vingt ans, j’ai gravi presque tous les jours la même colline escarpée et tortueuse jusqu’à un tronçon de rue pavée, du nom de Panoramic Way, qui débute derrière le stade de football de l’université de Californie. Quelques années plus tôt, alors que ma fascination pour l’Anthology of American Folk Music de Harry Smith – fascination qui remonte aux alentours de 1970 – virait à l’obsession, je me suis pris à imaginer que Smith avait vécu dans cette rue.

Je savais que Smith était né en 1923 à Portland (Oregon) et qu’il avait grandi à Seattle (Washington) et dans ses environs ; qu’il avait enregistré, adolescent, les cérémonies et les chants des tribus indiennes locales et qu’en 1940 il avait entrepris de collectionner des 78 tours de blues et de musique country des années 1920 et 1930 disponibles sur le marché. En 1952, à New York, alors que sa collection atteignait les dizaines de milliers, il avait réuni en une anthologie baptisée tout simplement, ou peut-être avec quelque arrogance, American Folk Music, quatre-vingt-quatre disques d’artistes oubliés : un recueil piraté, à la légalité pour le moins contestable, d’enregistrements édités à l’origine par des labels encore en activité tels que Columbia, Brunswick et Victor.

Justin Timberlake a un rhume:post

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Ken Ehrlich met en scène la cérémonie des Grammys depuis trente ans. Bedonnant, dégarni et vêtu de gris, il fait partie des hommes de l’ombre qui assurent le bon fonctionnement du show business. Je fais sa rencontre dans l’obscurité du grand dôme du Staples Center de Los Angeles. “Vous pouvez vous asseoir si vous la fermez”, grogne-t-il quand je me présente en chuchotant. D’un hochement de tête, il désigne en contrebas les bassistes qui calent leur rythme et les trompettistes qui poussent leurs instruments dans les aigus. La répétition qui s’annonce devrait durer plus d’une heure.

Ehrlich s’assure que chacun respecte le script minuté figurant dans son classeur à trois anneaux, grand ouvert sur un vaste plan de travail qu’un plaisantin a dressé comme une table de restaurant italien. Tout y est : la nappe en plastique à carreaux rouges et blancs, le plateau de fromage, la traditionnelle miche de pain à la semoule, la bouteille de chianti Ruffino dans son panier en osier et les bougies disposées sur deux vieux moniteurs Sony de dix-neuf pouces, permettant de visualiser la cérémonie telle que les téléspectateurs la regarderont depuis leur canapé.

Les os de la discorde:post

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Aux États-Unis, l’histoire naturelle est mise aux enchères cinq ou six fois par an. Un dimanche de mai 2012, une grande vente s’est tenue au Dia Center for the Arts de Chelsea, qui l’accueillait pour l’occasion. La vente, organisée par une entreprise du nom de Heritage Auctions, s’est ouverte sur deux géodes d’améthyste qui ressemblaient aux oreilles d’un lapin sur le qui-vive. Puis, des météorites, du bois pétrifié, des défenses d’éléphant ; des mille-pattes, des scorpions et des araignées préservés dans de l’ambre ; des quartz précieux, des cristaux et des fossiles. Les fossiles allaient de petits animaux aquatiques de l’Éocène incrustés dans de la pierre à des restes de dinosaures de la fin du Crétacé. Ce jour-là, l’orteil articulé et la griffe d’un dinosaure marocain ont été vendus à soixante-trois mille dollars et la dent d’un tyrannosaure – vingt-sept centimètres de la racine à la pointe – à presque quarante mille.

Invisible et Insidieux:post

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Ces trois dernières années, mon dosimètre est sagement resté sur l’étroite étagère de la porte d’entrée d’une maison de Tokyo, sa mesure augmentant chaque jour d’une ou deux unités ; la hausse ne s’est jamais démentie – puisque la radiation est la compagne sans merci du temps qui passe. Où que nous soyons, le rayonnement nous atteint et nous est néfaste, au mieux de façon imperceptible. Durant ces trois années, mes voisins américains n’avaient plus en tête l’accident de Fukushima. En mars 2011, un tsunami avait tué des centaines, des milliers de gens ; oui, ils se souvenaient de ça. Quelques-uns se rappelaient également le tremblement de terre qui l’avait provoqué ; quant à l’explosion d’hydrogène et la faille de la centrale nucléaire n° 1, en revanche, cela devait être réparé à présent – puisque ses effluents ne faisaient plus la Une de nos informations nationales.