Feuilleton Nº

21

Le maitre écrivain de New York

Joseph Mitchell est l’un de ces écrivains devenus célèbres sans écrire, ou si peu. Mais les pages laissées derrière lui comptent parmi les plus belles jamais écrites sur le New York des laissés-pour-compte. Janet Malcolm, qui fut son amie et collègue au New Yorker, insiste sur la beauté de son œuvre, dont elle loue la quintessence dans Le Fond du port. L’Homme aux portraits, une biographie signée Thomas Kunkel, permet quant à elle de percer les secrets de ce personnage mystérieux. Ces deux ouvrages ont paru aux Éditions du sous-sol en octobre 2017.  

Extrait

En 1942, le New Yorker publia le portrait par Joseph Mitchell d’un sans-abri de Greenwich Village nommé Joe Gould. La particularité de cet homme – ce qui le distinguait des autres miséreux – était le “livre sans forme passablement mystérieux” qu’il était connu pour écrire et qui s’intitulait Une histoire orale de notre temps. Il l’avait commencé vingt-six ans plus tôt et, avec neuf millions de mots, le texte était déjà “onze fois plus long que la Bible”. Vingt-deux ans plus tard, en 1964, le magazine publia en deux volets un autre reportage de Mitchell intitulé “Le secret de Joe Gould”, qui donnait de l’intéressé une image moins favorable mais bien plus intéressante.

Mitchell y révélait ce qu’il avait gardé pour lui la première fois – à savoir que Gould était un homme mortellement ennuyeux, un parasite qui s’accrochait à lui telle une moule, et le journaliste avait fini par comprendre que la fameuse Histoire orale n’existait pas.