Feuilleton Nº

21

Je suis amoureux des noms américains

auteur
Philip Roth
traducteur
Lazare Bitoun

Désigné à son corps défendant comme un des éminents représentants littéraires de l’“école juive de New York”, Philip Roth a toujours réfuté les étiquettes restrictives sous lesquelles médias et universitaires ont tenté de le ranger. Dans ce texte aux accents parfois vengeurs, l’écrivain s’interroge sur les rapports qu’entretiennent identité et altérité chez l’homme qu’il est devenu. Selon lui, l’origine s’hérite tout autant qu’elle se transforme dans un nouveau creuset. À condition de trouver une terre qui le permette : l’Amérique ?

Extrait

Les écrivains qui m’ont permis d’appréhender l’Amérique et d’élargir la vision que j’en avais étaient pour la plupart originaires de petites villes du Sud et du Midwest. Aucun d’eux n’était juif. Ils n’avaient pas été façonnés dans le creuset du grand mouvement de l’immigration de masse des années 1880-1910 qui avait permis à ma famille de s’affranchir des restrictions de la vie dans les ghettos de la vieille Europe, des règles de l’orthodoxie religieuse et de la menace de violences antisémites ; ils avaient tous grandi à une époque où les valeurs autochtones de la ferme et du village de paysans s’effaçaient devant la culture envahissante de l’affairisme et de son omniprésente recherche du profit. Ces écrivains avaient été modelés par l’industrialisation d’une Amérique agraire qui avait embrasé les années 1870 et qui, en fournissant du travail à cette horde d’immigrants sans qualifications, avait en grande partie réglé la question de leur absorption dans la société et de leur américanisation en envoyant les enfants issus de cette immigration à l’école publique.