L'Entretien Nº

2

Etel Adnan

Une agent double

Etel Adnan

Selon son propre aveu, Etel Adnan peut passer des jours à musarder. Cela ne l’a pas empêchée de bâtir une oeuvre. À double visage : l’écriture et la peinture. Encore faudrait-il y regarder de plus près et parler de son oeuvre comme d’un monde de mots et d’images. Car aux livres dont elle est l’auteur – des poèmes, des romans, des essais, des correspondances… – s’ajoutent des dessins et des gravures (telle la série A Tremendous Astronomer, exposée récemment à la galerie Lelong), des paysages de montagnes, des peintures abstraites, des films et même quelques tapisseries, que nous avons pu découvrir fin 2016 à l’Institut du monde arabe où s’est tenue la première rétrospective en France de l’artiste.

Extrait

Aimez-vous parler de vous ?

E A: Est-ce que j’aime parler de moi ? Je suppose que oui. Je ne me suis jamais posé la question, mais je n’ai jamais de difficultés quand on me pose des questions, parce que ça fait réfléchir. C’est comme quand vous écrivez, vous découvrez ce que vous pensez. Mais je n’ai jamais été vraiment carriériste, parce que ça va quelquefois avec le désir de parler de soi. J’ai quatre-vingt-onze ans et ça fait quatre ans qu’on connaît mon travail, donc on ne peut pas dire que j’ai été carriériste ! Heureusement que le succès n’est pas arrivé avant : j’avais la paix, je ne me posais pas de questions. J’étais professeur à un certain moment, puis je me suis mise à peindre un peu avant d’arrêter l’enseignement et de me consacrer à la peinture. J’ai écrit aussi pas mal d’ouvrages. Grâce à mes amis, je n’ai jamais pensé que je travaillais dans le vide, je n’ai jamais pensé non plus que j’allais avoir de grandes galeries, ce n’était pas un rêve. J’ai exposé une fois dans une vraie galerie professionnelle à Beyrouth, mais seulement deux fois à Paris, et en Amérique dans des petites galeries. J’avais surtout des amis peintres, j’ai eu un milieu. Il y a beaucoup de peintres qui n’ont jamais été connus dans l’histoire, qui ont tenu le coup parce qu’ils avaient un milieu. On exposait entre nous, quand je vendais une petite toile pour 100 dollars j’étais contente.

© Julien de Gasquet