L'Entretien Nº

2

Erri De Luca

Éloge de l’expérience

© Ulf Andersen / Getty Images

Montedidio est le titre d’un des plus beaux récits d’Erri De Luca, prix Fémina étranger en 2002, l’année de sa parution en traduction française. C’est aussi le nom du quartier populaire de Naples, « ville des sangs », où l’auteur a passé son enfance dans une famille bourgeoise ruinée par la guerre. Une enfance peu heureuse, si l’on excepte les étés sur l’île d’Ischia où il découvre la liberté et la beauté de la nature, « ni gratuite, ni donnée ».

Extrait

On sait que vous êtes romancier, nouvelliste, essayiste, dramaturge, traducteur de la Bible, poète, et également… alpiniste. Qu’emportez-vous dans votre sac de randonnée ?
E D L : Le minimum, le minimum possible, il faut être léger : j’essaye d’abord d’emmener le plus faible poids de mon corps.

Bah, vous n’êtes pas si gros !
E D L : Non, j’ai adapté mon corps à cette pratique de la liberté, au fait de vivre à l’air libre, de gravir les montagnes.

Votre corps s’est modifié progressivement ?
E D L : Oui, j’étais plus costaud, plus massif avant, et dès que j’ai quitté mon métier [d’ouvrier] j’ai commencé à mincir pour affronter plus facilement les petites prises des parois.

Et petit à petit, vous avez décidé de vous attaquer à des sommets de plus en plus raides ?
E D L : C’est une curiosité que j’ai : essayer de voir jusqu’où vont les limites du corps. Et c’est étonnant de constater qu’en forçant les limites, on les fait bouger. On décide parfois de ne pas aller plus loin, de ne plus essayer de franchir les limites, mais on ne sait jamais très bien, en fait,quelles sont les limites physiques d’un homme. J’ai trouvé dans Les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov une phrase selon laquelle l’homme serait « la bête la plus rude, la plus forte, la plus résistante qui existe au monde ». Je n’ai pas les compétences scientifiques pour le confirmer, mais à partir de ma modeste expérience, je lui donne raison.

© Ulf Andersen