Feuilleton Nº

20

El Único Matador

© Alice Meteignier

Difficile de nos jours d’imaginer croiser des toreros originaires de Brooklyn dans une arène ! En 1949, c’est pourtant à l’un d’eux, Sidney Franklin, qu’une jeune journaliste du New Yorker, Lillian Ross, consacre le premier papier qu’elle signe dans la fameuse rubrique “Profile”. Cet article demeure certainement l’un des plus beaux portraits qu’elle ait jamais écrit. L’aventure
fut aussi l’occasion pour elle de trouver, en la personne de Hemingway, un nouvel ami.

Extrait

Les meilleurs matadors du monde viennent traditionnellement du Mexique ou d’Espagne, et la vieille province d’Andalousie a donné aux arènes plus de taureaux et de toreros que le reste de la péninsule réunie. Encorné et mortellement blessé durant l’été 1947 à l’âge de trente ans, le matador Manolete, sans doute le numéro un dans l’histoire de cette discipline, était andalou. À la retraite sportive depuis l’année dernière, à vingt-huit ans et après avoir amassé deux millions de dollars de gains, Carlos Arruza, qui avait la réputation de se battre plus près de la bête que quiconque avant lui, est né au Mexique de parents espagnols. Belmonte, lui aussi andalou, et Joselito, espagnol et gitan, furent les figures dominantes de ce que l’on considère dans les pays à forte tradition tauromachique comme l’âge d’or de ce sport, une ère qui se conclut en 1921 avec la retraite de Belmonte, devenu éleveur de taureaux, et la mort de Joselito dans l’arène un an plus tard. Le seul Mexicain qui pouvait rivaliser à l’époque avec ces deux hommes était un Indien, Rodolfo Gaona, qui se retira en 1925, alors millionnaire, pour s’occuper de ses affaires dans l’immobilier à Mexico. Quelques années plus tard, Wong, un torero chinois qui portait une natte, fit son apparition à Mexico sous le nom d’El Torero Chino, et une femme torero péruvienne, Conchita Cintrón est toujours en activité. Un seul citoyen des États-Unis a jamais été reconnu comme un matador accompli : il s’agit de Sidney Franklin, qui est né et a grandi dans le quartier de Park Slope à Brooklyn.

“El Único Matador” de Lillian Ross a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Vincent Raynaud. Le texte est extrait de l’ouvrage Reporting Always, 2015, S & S International. © Lillian Ross, 1949.