L'Entretien Nº

1

Yves Bonnefoy

Raviver les mots

Plus de quatre-vingts livres publiés. Poèmes, récits, essais, traductions… Il s’agit toujours pour Yves Bonnefoy de faire partager des moments de son expérience de la poésie, c’est-à-dire d’une saisie du réel sous l’angle de la recherche du sens, de l’unité, de la présence au-delà des mots. Lorsque nous avons invité Yves Bonnefoy à participer à ce numéro, il nous a dit aussitôt son désir d’un entretien inédit. Il voulait prendre le temps d’aller au fond des choses. Mais les jours ont passé et la mauvaise nouvelle est arrivée…

Extrait

On a parfois le sentiment que les poètes manquent aujourd’hui d’interlocuteurs. En rassemblant au Mercure de France les entretiens que vous avez donnés en un volume [Entretiens sur la poésie (1972-1990)], vous prouvez le contraire. Nombreux sont celles et ceux avec qui vous avez engagé un dialogue. On ne peut pas dire que vous éprouviez un sentiment de solitude dans votre travail d’écrire ?

YB : Je pense que la solitude de l’écrivain est un héritage romantique qui a fait long feu. L’être humain est toujours solitaire dans certaines situations de son existence et peut-être même
dans quelques-unes qui sont fondamentales. Mais la poésie n’est pas destinée à aggraver cette solitude, à la prôner, à la décrire comme un état tout à fait essentiel, disons presque satisfaisant. Loin de là ! Il me semble qu’elle a pour fonction de faire apparaître la mémoire d’une certaine unité du réel au sein d’un langage qui l’ignore superbement. Et si l’unité reparaît de cette façon, elle a pour conséquence immédiate, dans notre comportement, de faire apparaître autrui de façon d’autant plus proche. La poésie combat la solitude, beaucoup plus qu’elle ne l’assume et, la combattant, elle connaît bien les situations où, précisément, nous ne sommes pas solitaires.

Photo : © Derek Hudson