L'Entretien Nº

1

Jean-Jacques Schuhl

La langue comme fantôme à exorciser

Écrivain de hasard ? Par hasard ? Écrivain majeur de son temps en tout cas par son style, sa concision, sa fragmentation du récit, sa manière si particulière de nous emmener dans son univers par ses repères esthétiques et phénoménologiques beaucoup plus que par son désir de raconter une « histoire », voire des histoires… Affectionnant la forme brève, artiste de l’ellipse, Jean-Jacques Schuhl écrit des livres qui se lisent comme de petits traités sur le goût du temps, de courts manuels d’auto-dérision qui contiennent toujours des fulgurances dans la matière même de la langue.

Extrait

Depuis quand écrivez-vous ?

J-J S: Je n’en sais rien. Ah ! Si, je me rappelle, je devais avoir vingt-deux ou vingt-trois ans. Je ne l’avais pas fait exprès. Ça s’est trouvé comme ça : je passais rue de l’Estrapade. Alain Resnais  Tournait un plan de La guerre est finie avec Ingrid Thulin pendant qu’Yves Montand se détendait en jouant au flipper dans le café à côté. J’ai regardé depuis le trottoir et j’ai fait un petit article d’une colonne, où je parlais aussi du billard électrique, qui est paru dans Les Cahiers du cinéma, ça a commencé comme ça. Je crois que ça s’appelait, je sais plus pourquoi, « Les zéros sont fatigués ». Sans doute cela avait-il à voir avec les chiffres du flipper. Un peu plus tard, j’ai écrit un article sur le concert des Rolling Stones à l’Olympia. Les spectateurs en sortant ont arraché les chaînes pour canaliser les piétons, il y avait pas mal de flics, et ils ont commencé à se les mettre autour des hanches, à mouliner avec comme des armes. En 68 ça recommencera avec les chaînes. J’ai fait le rapprochement. Il y avait un enchaînement !

Photo : © Ulf Andersen / Aurimages