Feuilleton Nº

22

Nina Simone au Liberia

En 1974, Miriam Makeba, légende de la musique sud-africaine et figure de la lutte anti-apartheid, invite son amie Nina Simone à venir lui rendre visite au Liberia. Règne alors dans le pays, qui s’apprête à accueillir le “combat du siècle”, une certaine effervescence, à l’instar de sa capitale, Monrovia, où souffle un vent de liberté. Conquise, Nina Simone prolonge son séjour pendant trois ans. Une parenthèse enchantée dans la vie de la chanteuse mais aussi dans l’histoire d’un pays, très vite rattrapé par la guerre.

Extrait

Un soir du mois de septembre 1974, la saison des pluies effectuait son dernier rappel, inondant les rues de Monrovia, au Liberia. Le ciel se déversait au milieu des ordures – chaussures oubliées, cadavres de cafards, quelque crabe égaré, peut-être. L’averse s’arrêta aussi brusquement qu’elle avait commencé, comme si un chef d’orchestre avait fait taire d’un geste les accords tonitruants du ciel. La ville fut bientôt recouverte d’un voile d’humidité, et de la vapeur semblait monter du quartier des boîtes de nuit et des clubs qui s’étendait de Carey Street jusqu’au croisement de Broad Street et Gurley Street. Ce soir-là, le Maze [littéralement le “labyrinthe”], une petite discothèque sur Mechlin Street, était bondé. Une cinquantaine de membres de la bonne société s’y étaient réunis malgré le temps épouvantable. Les femmes portaient des robes de soirée, les hommes des costumes avec mouchoirs de poche et noeuds papillon. Nina Simone fit son entrée à minuit, étourdie de champagne, au bras d’un Libérien. Les parapluies avaient séché depuis longtemps, une boule à facettes tachetait de ses rayons lumineux les rideaux de velours rouge. Les haut-parleurs crachaient de la soul et du disco venus de l’étranger : James Brown, The Temptations, des trente-trois tours de chez Motown’s Gordy ou Stax. “Living for the City.” “Don’t You Worry ‘Bout a Thing.”