Feuilleton Nº

19

Le Point aveugle

auteur
Javier Cercas
illustrateur
Ugo Bienvenu & Kevin Manach

Paru en novembre aux éditions Actes Sud, Le Point aveugle rassemble les conférences données par Javier Cercas à l’université d’Oxford. Sur les questions sans réponses, les énigmes insolubles et les ambiguïtés nécessaires qui font l’essence du roman et placent le lecteur en son centre : le point aveugle. Publication d’un extrait, où l’on croise Moby Dick, Virginia Woolf, Claudia Cardinale, et l’art du romancier de rendre le réel encore plus compliqué.

Extrait

Mon avant-dernier roman, qui s’intitule Les Lois de la frontière, parle des tribulations d’une bande imaginaire de jeunes délinquants surgie à la fin des années 1970 en Espagne : la bande de Zarco. Si je devais le résumer, je dirais qu’il s’agit d’un triangle amoureux prolongé pendant presque trente ans, un triangle formé par Zarco lui-même – le leader du groupe, qui finira par devenir un mythe de la délinquance juvénile –, Binoclard – un adolescent issu de la classe moyenne qui rejoint la bande pendant l’été 78 – et enfin Tere – le personnage qui symbolise peut-être tous les dilemmes moraux du livre et en renferme tous les secrets. C’est ainsi que je décris d’ordinaire le roman ; mais Carlos Marzal, probablement le plus grand poète de ma génération, l’a décrit comme un thriller existentiel, un thriller qui non seulement formule une question presque policière et tente d’y apporter une réponse (Qui a dénoncé la bande de Zarco ?), mais, depuis cette perspective, implique également des questions d’ordre existentiel qui affectent irrémédiablement le destin des protagonistes.