L'Entretien Nº

4

Renzo Piano

Être un peu poète, à l’écoute de ce qui n’est pas dit

Tout petit, il voyait des grues transporter des matériaux dans un port. Il a vécu très jeune à Gênes l’éblouissement de l’immensité de la mer et a compris d’abord physiquement ce que voulait dire construire. Son père était un bâtisseur, lui sera architecte. Vous êtes déjà entré dans un de ses bâtiments, que ce soit un musée, une bibliothèque, un centre d’art, une fondation, un hôpital, une tour. Au lieu de saturer, il dégage. Au lieu de faire rupture, il insère. À Paris, au Centre Pompidou – son premier ouvrage signé avec Richard Rogers – comme à Londres, où il a conçu la plus haute tour d’Europe, ou à New York où il a imaginé le nouveau Whitney Museum, nous éprouvons en déambulant dans ses espaces une sensation de liberté tant la volonté de dialoguer avec le ciel et la ville est prégnante. Celui qui achève ces mois-ci notre nouveau Palais de justice à Paris, au bord du périphérique, a toujours travaillé le contexte urbain, aime le métissage, discute avec les habitants, et expérimente tant sur la structure que sur la matière, le climat, l’urbanité. Art de la simplicité, l’architecture est aussi pour lui l’art de l’épure, le témoignage d’un engagement citoyen : il a su par la construction du centre culturel Tjibaou restituer l’âme de la civilisation canaque et travail aussi en Afrique sur des projets humanitaires. Le tout petit – l’admirable monastère Sainte-Claire en France – comme le plus grand – des quartiers entiers de villes à travers le monde – l’intéressent tout autant.
Y aurait-il une méthode Piano ? Peut être… La notion de collectif – laboratoire où travaillent plusieurs générations d’architectes et de scientifiques – et celle d’expérimentation constante en seraient les éléments principiels.

Extrait

Dans les lieux que vous avez construits, Renzo Piano, il y a cette immense tour magnifique à Londres, The Shard, le centre Jean-Marie-Tjibaou, très loin, et beaucoup de lieux pour abriter de la peinture, de la beauté. Mais aussi des hôpitaux, des endroits qui sont des friches industrielles et qui grâce à votre art sont devenus des lieux de vie. Quelle définition donneriez-vous
de l’architecte ?

RP C’est un bâtisseur-poète. L’architecture est l’un des arts de raconter des histoires, elle célèbre
des citations, les représente. J’ai commencé ainsi, j’étais le fils d’un petit constructeur.
Il faut être topographe, géographe, climatologue, tout ça, et on apprend plus tard dans la vie qu’il faut aussi être un peu poète, même si c’est un mot difficile à prononcer.
C’est comme d’autres choses dans la vie : si on n’y met pas de la poésie, il manque quelque
chose. La poésie, c’est proche de la beauté – autre mot difficile à prononcer.
On est des humanistes : c’est la capacité ou la nécessité de mettre ensemble ces différents côtés.
À neuf heures il faut être bâtisseur, à dix heures artiste, à onze heures humaniste, et à
midi si on peut à nouveau poète. Mais il faut savoir construire, sinon on n’est pas bon,
il faut connaître l’art et le plaisir de bâtir des choses. C’est une question primordiale puisque finalement on construit pour les gens, pour qu’ils aient un abri, c’est plus simple quand c’est
une maison, c’est un peu plus compliqué quand c’est un lieu public dans lequel on se retrouve
pour différentes choses qu’on fait ensemble. Mais une chose en commun, c’est qu’il faut
savoir construire.

Crédit photo : © agence RPBW pour toutes l’iconographie