L'Entretien Nº

4

Roberto Saviano

Raconter les aspects les moins évidents de la réalité

Il est une icône factice pour les uns, un héros anti-mafia pour d’autres. Ce qui frappe quand on lit ses travaux – que ce soit Gomorra, Extra Pure ou son dernier ouvrage encore inédit en français consacré aux enfants de la mafia –, c’est, outre le travail d’investigation, la dimension philosophique de ses enquêtes. Le bien existe-t-il ? Comment pouvons-nous encore y croire dans une économie mondialisée, notamment tenue par des chefs d’entreprise mafiosi qui ont réussi à s’infiltrer dans l’establishment ? Pourquoi la terreur est-elle contagieuse ? Dans quelle mesure peut-on échapper à la mafia quand on a la malchance de vivre dans un quartier où elle fait la loi ? Pourquoi la mafia fonctionne-t-elle comme une famille ? Pourquoi arrive-t-elle à faire croire à son code d’honneur ? Autant de questions que nous pose Roberto Saviano qui, en bon lecteur de Foucault, continue à ses risques et périls de faire l’archéologie de cette armée de l’ombre de plus en plus puissante.

Extrait

Vous êtes auteur de plusieurs livres, bien sûr il y a eu Gomorra qui a donné lieu à un film et à une série et Le Contraire de la mort, j’ai été très frappée par la dimension philosophique dans votre travail d’écriture qui est lui-même un travail d’enquête. Pour commencer, parlons de votre enfance.
RS Je me suis toujours défendu grâce à ma famille, j’ai été défendu par elle. Ça ne signifie pas
ne pas être entraîné dans le monde criminel, car beaucoup de mes camarades de classe qui avaient pourtant grandi dans la petite bourgeoisie comme moi ont décidé de travailler
avec les cartels criminels, comme avocats ou entrepreneurs, ou politiques. Mais d’une
certaine manière ma famille m’a donné deux choses qui m’ont sauvé : elle m’a donné la peur
de ce monde-là, m’a appris que choisir d’avoir quelque chose à faire avec ce monde signifie prison et mort, et d’autre part elle m’a donné envie de chercher à connaître ce monde-là. Ma mère était professeur de chimie, elle m’a appris à approfondir, à ne jamais rester à la surface des choses. Mes parents ont été très importants pour ma formation, même si je les ai déçus en choisissant d’écrire
sur ces sujets.

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