Feuilleton Nº

3

Les Fantômes de Lexington

traducteur
Corinne Atlan
illustrateur
Robert Crumb
Les Fantômes de Lexington

L’ouverture d’un livre peut s’apparenter à un acte d’intrusion du lecteur dans l’œuvre d’un auteur, l’œil pénétrant par ce geste un monde forclos, comme par effraction. Mais qu’advient-il, à l’inverse, lorsqu’un écrivain accepte de rencontrer l’un de ses lecteurs puis de veiller sur son habitation durant son absence ? Par l’établissement d’un pacte autobiographique à la transparence malicieuse, Murakami Haruki nous invite à explorer les confins de son art, ouvrant un espace où lire et écrire ne sont plus qu’un unique et même jeu de passe-muraille.

Extrait

Au cours des deux ans que j’ai eu l’occasion de passer à Cambridge, dans le Massachusetts, j’ai fait la connaissance d’un architecte : bel homme, la cinquantaine, cheveux poivre et sel. Pas très grand, mais avec une belle musculature : il aimait nager, et allait à la piscine tous les jours. Il jouait au tennis aussi, de temps en temps. Disons qu’il s’appelait Casey. Casey, donc, était célibataire et partageait une vieille demeure de Lexington, dans la banlieue de Boston, avec un accordeur de piano taciturne, au teint maladif, du nom de Jeremy, qui devait avoir dans les trente-cinq ans. Jeremy était grand, souple et élancé comme un saule, les cheveux légèrement clairsemés.

Ce texte a paru pour la première fois dans Rekishinton no yûrei, recueil éponyme publié en 1999 par Bunshun-bunkô. © Murakami Haruki, 1999