Feuilleton Nº

16

À propos d’une bataille perdue

auteur
Svetlana Alexievitch
traducteur
Sophie Benech
illustrateur
Alain Pilon

“Les écrivains de nonfiction sont des citoyens de seconde classe, le Ellis Island de la littérature” déplorait Gay Talese, dans un entretien accordé à la Paris Review. En décernant le prix Nobel de littérature à Svetlana Alexievitch, l’Académie suédoise semble avoir voulu faire mentir le “pape” du Nouveau Journalisme. Dans un discours prononcé en décembre, à l’occasion de la remise de sa récompense, la lauréate justifie son choix d’adopter une écriture qui se fait l’écho fidèle du réel sans pour autant délaisser les artifices de la littérature.

Extrait

Je ne suis pas toute seule sur cette tribune… Je suis entourée de voix, de centaines de voix, elles sont toujours avec moi. Depuis mon enfance. Je vivais à la campagne. Nous, les enfants, nous
aimions bien jouer dehors, mais le soir nous étions attirés, comme par un aimant, par les bancs sur lesquels les vieilles babas fatiguées se rassemblaient près de leurs maisons, leurs “khatas”, comme on dit chez nous. Elles n’avaient plus de maris, plus de pères, plus de frères, je ne me souviens d’aucun homme dans notre village après la guerre. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un Biélorusse sur quatre est mort au front ou dans la résistance. Notre monde à nous, les enfants de l’après-guerre, était un monde de femmes.

La version originale en russe est disponible sur le site : www.nobelprize.org
© The Nobel Foundation, 2015 “Svetlana Alexievitch – Nobel Lecture : À propos d’une bataille perdue.”
Nobelprize.org. Nobel Media AB 2015. Web. 7 Dec 2015.