Feuilleton Nº

16

Le livre est un fleuve qui s’écoule

auteur
Rodrigo Fresán
traducteur
Isabelle Gugnon
illustrateur
Alain Pilon

Il en est des grands livres comme des tumeurs géographiques : jamais ces monstres ne cessent de s’étendre. Véritables perpetuum mobile, ils sont toujours en train de s’écrire. Ainsi les livres composant l’oeuvre-fleuve de Mark Twain. Tel le Mississippi charriant le limon sur les terres qu’il rend fertiles, les écrits de Twain irriguent aujourd’hui encore la littérature américaine. En guise d’hommage, la manie référentielle de Rodrigo Fresán n’a d’autre but que de contraindre le lecteur à s’abandonner pour mieux le suivre, au gré du courant.

Extrait

Ceci est vrai : nous sommes en 1968, et un écrivain américain au prestige grandissant, à la renommée encore lointaine et aux ressources plutôt faibles arrive en Israël, où sa femme a reçu une bourse. Il a accepté de se plier à ce genre d’activités professionnelles qui permettent de garder la tête hors de l’eau mais vous transforment aussi en naufragé de votre vie, de votre oeuvre et de votre jet lag. Le voyage a été très long depuis la Californie. Pendant le vol sur la TWA , sa machine à écrire s’est cassée, et la “villa au bord de la Méditerranée” promise par l’université de Tel Aviv est en fait un de ces immeubles où s’entassent les étudiants en anglais (langue et littérature), une matière que l’écrivain devra enseigner “loin de toutes [s]es sources” tandis qu’il continuera à lutter pour trouver son style, sa voix, sa propre langue écrite.

« El libro es un río que fluye » a été traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon. Le texte a paru pour la première fois en préface de l’édition mexicaine de La Vie sur le Mississippi (Édition Almadía, Oaxaca, 2014).
© Rodrigo Fresán, 2014.