traducteur
Marie Chabin
illustrateur
Vahram Muratyan

Fin 2012, l’acteur Gérard Depardieu, éminent ambassadeur de la France à l’étranger, annonce quitter son pays afin de se soustraire à une nouvelle loi sur l’impôt. Le geste de l’acteur suscite un vif émoi dans l’Hexagone, prenant rapidement une tournure politique. Diverses personnalités publiques n’hésitent pas à monter à la tribune pour faire entendre leur indignation. Mais derrière le théâtre des mots, c’est le rapport des Français à l’argent – un tabou – qui semble questionné. Lauren Collins a mené l’enquête : de quoi Depardieu est-il le nom ?

Extrait

Minable. Le mot fut lâché pour la première fois dans l’émission Télématin du 12 décembre. Quelques jours plus tôt, Gérard Depardieu avait annoncé sa décision de s’installer à Néchin, petit village belge peuplé de deux mille âmes, entouré d’autant de champs de betteraves ou presque, afin d’échapper à l’impôt à soixante-quinze pour cent que le gouvernement français a promis d’appliquer aux revenus excédant 1 million d’euros. Interrogé par le présentateur sur ce qu’il pense de la décision de l’acteur, l’ordinairement très courtois Jean-Marc Ayrault répond : “Je trouve ça assez minable.” On avait déjà croisé l’adjectif dans le titre d’un album jeunesse, Minable le Pingouin, l’histoire d’un oiseau dissipé, et dans l’épisode des Simpson où la fille de Krusty, un personnage qui n’a jamais assumé son rôle de père, lance à la figure de son géniteur : “J’ai tapé clown minable dans un moteur de recherche et ton nom est apparu en premier.” Prononcé par l’homme le plus puissant de l’Hexagone après le président de la République – c’est la nation qui parle au citoyen, le gouvernant à l’artiste –, le qualificatif a fait couler des flots d’encre.

L’Étranger a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Chabin. Le texte a paru pour la première fois dans le New Yorker en février 2013. © Lauren Collins, 2013.