La Vie d’un goldfarmer chinois

La Vie d

Le marché des jeux vidéo en ligne jouit aujourd’hui d’une croissance économique exponentielle. Mais la richesse qu’il génère n’est pas un monopole réservé aux éditeurs de jeux. Certains joueurs du très populaire World of Warcraft profitent, par exemple, de failles juridiques pour créer des marchés parallèles et exploiter les disparités de l’espace économique mondial : des hardcore gamers achètent ainsi le “travail” d’autres joueurs afin d’accélérer leur progression dans le jeu. La compétition virtuelle dégénère alors en conflits géopolitiques inédits.

Il était 23 heures. Le service de nuit avait commencé depuis trois heures. Il restait encore neuf heures à tirer. À son poste de travail, dans un petit bureau éclairé au néon à Nanjing, en Chine, Li Qiwen s’assit torse nu, fumant cigarette sur cigarette et fixant avec concentration le jeu interactif face à lui. L’écran donnait à voir des moines guerriers évoluant sur un terrain montagneux légèrement boisé, clairsemé de ruines de châteaux, et sur lequel des cerfs broutaient. Cliquant avec sa souris sur chaque dépouille l’une après l’autre, ramassant à chaque fois une douzaine de pièces virtuelles – et éventuellement une ou deux armes magiques – qu’il fourrait dans un sac de plus en plus chargé, Li, ou plutôt son personnage de maître-magicien combattant, avait décimé les moines ennemis depuis 20 heures.

Douze heures par nuit, sept nuits par semaine, avec seulement deux ou trois libres par mois, voilà ce que fait Li dans la vie. En cette nuit de l’été 2006, le jeu programmé sur son écran est, comme toujours, World of Warcraft, un jeu de fantasy en ligne dans lequel les joueurs, sous la forme d’avatars – elfes magiciens, guerriers orks et autres personnages tolkiennesques – guerroient dans le royaume mythique d’Azeroth, gagnant des points à chaque monstre tué, et grimpant, au cours de longs mois, du niveau de pouvoir mortel du jeu le plus bas (1) au plus élevé (70).

Ce texte a paru pour la première fois dans le New York Time Magazine en juin 2007. © Julian Dibbel, 2007