La Famélique

traducteur
Marianne Véron
illustrateur
Rich Pellegrino
La Famélique

Un homme à la dérive écume les salles de cinéma comme pour fuir la pellicule brulée du réel. Spectateur dont l’existence évanescente ne semble avoir plus de réalité que les personnages des films défilant devant ses yeux, Leo Zhelezniak s’immerge dans un flot d’images et observe, fasciné, le déroulement tragique de sa destinée. Dans une prose d’une puissance visuelle rare, Don DeLillo relate l’exil intérieur d’un homme, une chute métaphysique qui nous plonge dans les arcanes de l’âme malade du monde contemporain.

Au début, bien longtemps avant les femmes, il avait vécu dans une chambre. Il n’escomptait aucune amélioration de son sort. Il était fait pour vivre là : une fenêtre, une douche, une plaque de cuisson, un petit frigo calé dans les toilettes, et un placard bricolé pour ranger ses maigres possessions. Il existe une sorte de monotonie qui s’apparente à la méditation. Un matin, alors qu’il buvait son café, les yeux dans le vide, la lampe murale prit feu. Mauvaise installation électrique, songea-t-il calmement, et il éteignit sa cigarette. Il regarda les flammes grandir, l’abat-jour commencer à se gondoler puis se racornir. Le souvenir s’arrêtait là.

Ce texte a paru pour la première fois dans Granta, en novembre 2011. © Don DeLillo, 2011