Feuilleton Nº

3

Torero sans couilles

traducteur
Agathe Bernier-Monod
illustrateur
Marrel
Torero sans couilles

Au Mexique, la tauromachie fait figure d’institution culturelle. L’écrivain Octavio Paz n’a jamais caché son afición pour la corrida et l’œuvre de Carlos Fuentes en fait, de manière récurrente, un prisme par lequel appréhender la société mexicaine. Ainsi, avec près de cinq cents arènes, le pays est un haut lieu mondial de la Fiesta brava. Que penser dès lors du geste d’un jeune toréador qui, en juin 2010, quitte subitement une arène de Mexico au cours de la faena, le dernier acte de la corrida : ultime preuve de courage ou lâche offense faite au sacré ?

Extrait

Mais en ce 13 juin, la vidéo de sa fuite fait le tour du monde via Youtube. Plus de cent mille personnes ont cliqué sur ce film de soixante-dix secondes où l’on voit un jeune torero déguerpir à petits pas sur le sable, contraint par l’étroitesse de son costume, laisser tomber son épée et sa cape rouge de combat avant de se jeter la tête la première derrière le mur de protection salvateur. On voit aussi le taureau resté seul sur le terrain, perplexe ; il ne sait pas que le combat est fini. Des reporters tendent immédiatement leurs micros en direction du torero, et il dit cette phrase qu’il regrettera ensuite : “Me faltaron huevos” (“J’ai pas eu assez de couilles”), “Esto no es lo mio” (“C’est tout simplement pas mon truc”). Puis il retourne sur la piste déserte et se coupe la coleta, la tresse postiche sur la nuque qu’arborent tous les toreros, symbole de leur corps de métier, un geste que le torero n’accomplit normalement qu’à son départ à la retraite. Cristian montre au public la petite touffe de cheveux tressés, la tend un instant vers le ciel comme autrefois sous les acclamations des aficionados il présentait les oreilles coupées du taureau vaincu qui lui avaient été remises en récompense d’un combat particulièrement réussi. Ce jour-là, il se fait huer pour sa lâcheté face au taureau.

Ce texte a paru pour la première fois dans Das Magazine en septembre 2010. © Guido Mingels, 2010