L'Entretien Nº

4

Peter Brook

L'espace vide

Peter Brook est un théoricien et un praticien de ce que signifie : faire théâtre. Pas seulement faire du théâtre. Depuis plusieurs décennies il expérimente l’espace qu’est un plateau, territoire symbolique et géographique, et il le peuple de fantômes qui côtoient des personnes bien vivantes. Il croit à l’abandon de soi comme force artistique. Il pense que c’est à l’intérieur de soi qu’on peut trouver son énergie. Il débarrasse, il fait sans cesse le ménage. Ses maîtres sont ceux de l’Antiquité, mais aussi nos contemporains dont il se nourrit et qu’il lit avec ardeur pour comprendre notre modernité, sans oublier Shakespeare, le maître des maîtres, celui qu’il revisite régulièrement dans la totalité de son oeuvre tant elle nous transcende. Que veut dire
« prendre la lumière » ? Que signifie l’idée d’aller au théâtre ? Qu’en attendons-nous ? Toutes ces questions, Peter Brook se les pose depuis longtemps, lui le voyageur, lui l’intranquille qui a parcouru l’Afrique, l’Asie, s’attardant dans les villages pour écouter et voir ce qui fait théâtre dans d’autres civilisations que la nôtre. Peter Brook est un jeune homme jamais content de lui, il ne se repose pas sur ce qu’il sait faire et ne s’appuie pas sur la sédimentation de ses connaissances tant en matière de direction d’acteurs que de revisitation des oeuvres. Méditant sur l’importance de cet art vivant qu’est le théâtre, il est devenu un passeur, un philosophe, un
sage, un homme qui, tout le temps, partout, recherche le bonheur.

Extrait

Je voudrais revenir au commencement, Peter Brook. Vous avez eu une enfance où vous avez été bercé dans le monde de l’imaginaire et où très tôt vous avez saisi la puissance du rêve et de l’onirisme.À travers votre nom, il y a toute une histoire du théâtre qui défile. Vous êtes aussi cinéaste, écrivain et metteur en scène d’opéra, vous avez écrit des textes sur le théâtre qui sont étudiés à travers le monde entier. Aujourd’hui, vous qui êtes né en 1925, que retenez-vous de votre enfance ?

PB  Hier, c’était l’anniversaire de mon père, donc la question tombe vraiment au bon moment, parce que mon père, hélas, n’est plus là, mon frère que j’adorais n’est plus là, mais hier je regardais une photo d’eux deux : mon père a l’air très fier, mon frère lui montre un certificat, je crois que c’est à son université à Cambridge quand il a terminé ses études de médecine. Ma mère était quelqu’un d’une très grande finesse, c’était elle la culture, mon père était ouvert à tout mais il avait un côté proche de la vie populaire. Je me souviens qu’il disait : « Ah, tu vas au théâtre avec ta mère, ça c’est la culture, mais nous deux – il me regardait avec un petit clin d’oeil – nous allons au cinéma. »

Crédit photo © Julien de Gasquet