auteur
Jonathan Coe
traducteur
Josée Kamoun
illustrateur
Aleksi Cavaillez
Pentatonique

Un air de musique peut parfois venir perturber le cours bien réglé des existences que régit la flèche du temps. Alors qu’ils assistent à la cérémonie de remise des prix à l’école de leur fille, une mélodie plonge un couple dans leurs souvenirs d’enfance respectifs. L’expérience qui les unit réveille une mémoire qui les sépare. Une dissonance se fait jour, révélant l’échec de leur mariage. Dans cette nouvelle inédite en français, Jonathan Coe évoque avec émotion l’omniprésence de la musique dans nos vies.

Extrait

Les autres passagers me regardent, stupéfaits. Comment le leur reprocher ? Le monsieur à ma gauche me dévisage comme si je venais de sortir posément une bombe de mon bagage à main. La dame qui est à ma droite ne réagirait pas autrement si j’avais ouvert mon ordinateur portable pour aller sur un site porno. Or qu’ai-je donc fait, en réalité, pour provoquer cet ébahissement ? Je viens de prendre un baladeur Sony et d’y insérer une cassette, c’est tout. Il me faut pousser le volume au maximum à cause du bourdonnement des moteurs de l’avion. Car ce que je veux entendre, on ne l’entend plus jamais en cette ère de musique digitale. Je veux entendre le son qui me ramène, plus que tout autre, au temps de mon enfance. Ma madeleine à moi. Je parle, bien sûr, du souffle de la cassette.

Cet enregistrement en est particulièrement pourvu ; c’est l’une de ses gloires. Parce qu’il s’agit d’une copie de deux autres copies. De la bande d’une bande d’une bande, dont chaque reproduction est d’une infidélité plus évocatrice, et dont chacune a acquis une strate de souffle bienvenue. Au point qu’on pourrait croire au bout de quelques secondes que ce souffle est ce qu’on a voulu enregistrer et qu’alors l’arrivée du piano désarçonne l’auditeur.

Pentatonic a été traduit de l’anglais par Josée Kamoun. Cette nouvelle, inédite en français, a paru pour la première fois en e-book aux éditions Penguin en 2012.
© Jonathan Coe, 2012 © Feuilleton, 2015, pour la traduction française