L'Entretien Nº

4

Nathalie Sarraute

Écrire ce dont il est impossible de parler, chercher dans ses folies de toujours

L’Entretien est pour nous l’occasion d’ouvrir nos archives et de retrouver la parole d’interlocuteurs disparus. On lira ici deux entretiens accordés chez elle par Nathalie Sarraute à six années de distance. Le premier accompagnait la publication de Tu ne t’aimes pas en 1989 ; le second, celle d’Ici en 1995. Nathalie Sarraute n’aimait pas parler d’elle. « Si j’affirme quelque
chose sur ma façon d’être, expliquait-t-elle, le contraire sera aussi vrai. » Dans Enfance, livre aux faux airs biographiques, elle mit les points sur les i : « Je ne suis rien d’autre que ce que j’ai écrit. » Ce qui ne signifie pas d’ailleurs qu’elle aimait parler de ce qu’elle avait écrit. Autant dire que je n’aurais pas aimé être à la place de l’intervieweur qui aurait prétendu soumettre Nathalie Sarraute à l’épreuve de vérité. Sauf à admettre qu’il y a peut-être plus de vérité dans une voix, un accent, que dans tous les discours du monde.

Extrait

À l’occasion de la publication de Tu ne t’aimes pas, en 1989.

Le livre précédent, Nathalie Sarraute, était un petit volume sur Valéry et Flaubert. Remontons à Enfance, publié en 1983. Enfance est un livre qui avait un peu étonné parce qu’il était en rupture avec vos ouvrages précédents et l’idée que vous défendiez du roman.

NS  Vous savez, je n’ai pas considéré cela comme une rupture. Je me laisse toujours un peu
aller à ce que j’ai envie de faire sans penser que c’est ça qu’il est nécessaire de faire pour soutenir certaines théories. Je me laisse aller à ce qui m’intéresse, à ce qui commence à vivre en moi et à ce moment-là j’avais eu envie de reprendre quelques instants de mon enfance. Des instants que j’avais choisis justement parce que la plupart du temps j’y retrouvais ces mouvements intérieurs
que j’avais appelés tropismes, faute de mieux, quand j’ai commencé à écrire. Et puis quand j’ai terminé ce livre, je suis retombée dans mes folies de toujours parce que c’est mon élément, parce que c’est là que ça m’intéressede chercher, de travailler.

© Louis Monier/Gamma-Rapho/Getty