L'Entretien Nº

5

Marie Rose Moro

Savoir écouter l'âge des possibles

Fille d’immigrés espagnols, Marie Rose Moro fait remonter son engagement à vouloir prendre en charge et savoir écouter les plus faibles d’entre nous à sa plus tendre enfance où l’école de la république lui a appris les valeurs essentielles de la République. Depuis, son combat pour trouver des manières de savoir accueillir les étrangers et porter secours à ceux qui souffrent n’a jamais cessé. Aujourd’hui responsable de la maison de Solenne à Paris, elle lutte pour faire reconnaître les espoirs mais aussi les difficultés d’une classe d’âge à laquelle on ne porte pas assez d’attention : l’adolescence.

Extrait

Marie Rose Moro, vous êtes psychiatre pour bébés, enfants, adolescents, vous êtes l’auteur de plusieurs ouvrages, vous êtes professeur de psychiatrie et vous êtes aussi directrice de la Maison de Solenn, cette maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris. Mais je crois qu’on ne comprendrait rien à votre engagement ni à votre histoire, si on ne savait dans quelles circonstances vous êtes arrivé en France et vous avez été accueillie en France

 

M R M      Je suis venue dans les bras de ma mère de ma Castille natale et suis arrivée dans les Ardennes, j’étais bébé, j’avais quelques mois. Et ensuite j’ai grandi comme tous les enfants de migrants accueillis en France dans la République française.

 

Vous êtes arrivée en France, vous aviez neuf mois. Vous ne vous appeliez pas Marie Rose. Pourquoi votre père a-t-il franchi la frontière pour s’établir en tant que bûcheron dans un tout petit village ?

 

M R M      Par utopie, par idéalisme, avec cette idée que le rapport au monde et le rapport au savoir passaient par quelque chose de l’ordre d’un apprentissage scolaire et d’un rapport au texte. Pour lui, le modèle c’était le rapport au texte de la Bible mais sans être croyant, enfin sans être pratiquant. Il pensait que dans les conditions dans lesquelles il vivait, les conditions politiques de l’Espagne de la fin des années 1950, début des années 1960, dans la précarité dans laquelle il vivait, dans le manque de liberté qu’il avait, il ne pourrait pas permettre à ses enfants d’être des savants, docteurs. Enfin docteur, c’était quand même le mot qu’il préférait. Docteur au sens du docte, ceux qui apprennent quelque chose. Il est donc parti à l’aventure comme le faisaient les hommes du sud de cette période. Il existait une petite communauté espagnole dans les Ardennes françaises et il est allé de Salamanque, de la lumière de la Castille, à la grisaille des Ardennes, région rude, mais en même temps, région qui l’a accueilli. Plus tard, je suis arrivée avec ma mère. Il est parti après ma naissance, en fait. Quelques mois plus tard, il a considéré que la solitude était insupportable et il a demandé à ma mère de venir plus tôt que prévu avec moi. Ensuite mes frères et sœurs sont nés ici.

Crédit photo : © Françoise Huguier