Feuilleton Nº

19

L’homme de Hiroshima

auteur
Maurizio Chierici
traducteur
Adeline Regnault
illustrateur
Ugo Bienvenu & Kevin Manach

“Une lueur fulgurante, une explosion, puis un tremblement de terre cataclysmique – le feu, l’éclair, le séisme : tous les agents du désastre et de la mort se succédant l’un à l’autre” : ainsi fut décrite l’explosion de la bombe par un dénommé Hachiya, survivant de Hiroshima. C’est une chose que de jeter un regard au fond de l’enfer, une autre que d’écouter celui qui a participé à son avènement. Dans les années 1970, Maurizio Chierici s’est entretenu avec le pilote qui donna son feu vert au largage de la bombe. Comment vivre après Hiroshima ?

Extrait

Aucune nostalgie chez les individus impliqués dans le bombardement atomique de Hiroshima ; même ceux qui ne le furent que de loin ont eu une vie difficile. Seule exception : le colonel Paul Tibbets, pilote de l’Enola Gay – l’avion qui transportait la bombe. À la télévision, cet homme à la crinière blanche et à l’expression sereine n’a exprimé aucun regret : “J’ai fait mon devoir ; si c’était à refaire, je le referais.” Tibbets est le seul à n’avoir pas eu le moindre état d’âme au cours de toutes ces années. L’un des pilotes de la formation de bombardiers qui survolait Hiroshima ce jour-là n’a pu participer aux festivités de la victoire, s’étant suicidé trois jours avant la cérémonie officielle. Je connaissais un autre pilote qui avait de nombreux problèmes. Cela n’a pas été facile de le rencontrer. Tout le monde me disait : “Sois patient. S’il t’a donné sa parole, il se manifestera tôt ou tard.” J’attendais pendant des jours, en vain. Ce pilote finissait par appeler pour me présenter des excuses : il y avait du brouillard à l’aéroport, son avion ne pouvait pas décoller ; ou alors, il n’avait pas d’argent et les banques étaient fermées. Il achèterait un billet le lendemain. Et le lendemain, c’était remis au jour d’après, sous un nouveau prétexte.

“The Man from Hiroshima” a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Adeline Regnault. Le texte
a paru pour la première fois dans Granta en septembre 1987.
© Maurizio Chierici, 1987.