Desports Nº

6

Les Grimpeurs

Comment l’équipe nationale de cyclisme du Rwanda est-elle devenue le symbole d’expiation collective d’un pays, toujours en proie à la division après des années de guerre civile ? Philip Gourevitch, auteur d’une enquête édifiante sur le génocide rwandais de 1994, relate ici l’histoire de ces héros ordinaires qui, forts d’une détermination à toute épreuve, invitent le pays à l’écriture d’un futur commun. Toutefois, malgré la capacité d’un peuple à pardonner à ses bourreaux, la mémoire perdure et la douleur reste vive.

Extrait

Gasore Hategeka a acheté son premier vélo en 2008. C’était un modèle une vitesse fabriqué en Chine, qui avait coûté 35 000 francs rwandais – soit aux alentours de 60 dollars. Gasore devait alors avoir environ 20 ans, et le coût du vélo équivalait déjà au travail de la moitié d’une vie. Son père avait lui-même possédé un vélo à un moment donné. Et, bien qu’il m’ait affirmé ne se souvenir de presque rien quant à son enfance, Gasore me dit : “J’aimais voir fonctionner le vélo. Mon père me faisait grimper dessus pour aller travailler dans les champs loin de notre village, et quand il est mort, j’ai pensé au vélo.” Il s’est senti une vocation. C’est, du moins, l’explication qu’il aime donner. Il ajoute : “Ça a toujours été mon rêve – j’ai toujours eu ça en tête, le vélo.” Quand Gasore parle du vélo, il imagine quelque chose de quasi mystique : l’incarnation d’un idéal d’autopropulsion.

Ce texte a paru pour la première fois dans le New Yorker, en 2011. © 2011 Philip Gourevitch. Paru initialement dans le n°2 de la revue Feuilleton.