Florence Seyvos part sur les traces de Buster Keaton et trouve, derrière la filmographie mythique de “l’homme qui ne rit jamais”, un garçon maltraité, formé (ou déformé) par un père violent, saltimbanque qui exploita l’indifférence apparente de son fils pour ses shows spectaculaires. En filigrane, derrière ce corps d’athlète qui joue la maladresse et l’impas- sibilité, l’auteur revoit le corps handicapé de son demi-frère, lui aussi houspillé par un père dur. D’un corps l’autre, la narratrice interroge le masque de l’insensibilité, de l’ennui, la violence qu’il suscite chez ceux qui le voient.

Extrait

Au bout de quelques années, Joe ne peut plus jeter Buster dans les airs. Le numéro n’en devient pas moins brutal pour autant. Au contraire. Les balais tournoient comme des frondes. Les deux adversaires se pourchassent, bondissent sur des tables, des chaises, Myra fait mine de vouloir les séparer en évitant de se faire assommer au passage. Les accessoires, balais, chaises, sont pulvérisés. Buster et son père prennent également l’habitude de régler sur scène leurs conflits de tous les jours. Joe voudrait réellement recouvrer son autorité sur cet enfant récalcitrant, et Buster lui échappe pour de bon. Ce n’est pourtant pas un garçon révolté. Son principal acte de rébellion est de fumer la pipe en cachette. Et cela rend son père fou.