Feuilleton Nº

13

La ballade de Geeshie & Elvie

traducteurs
Boris Donné Guillaume Godard
illustrateur
Aleksi Cavaillez
La ballade de Geeshie & Elvie

L’histoire de la musique américaine du premier XXe siècle est peuplée de fantômes : interprètes obscurs qui n’ont laissé derrière eux que l’empreinte de leur voix sur des disques. Il aura fallu la curiosité de quelques passionnés, aidés par le hasard, pour les sauver de l’oubli. Aucun de ces fantômes n’est plus évanescent que deux femmes, Geeshie et Elvie : elles ont marqué à jamais l’histoire du blues sans qu’on connaisse rien de leur existence. John Jeremiah Sullivan s’est lancé sur leurs traces…

Extrait

Dans le petit monde de la musique noire américaine du début du XXe siècle et de tous ceux qui en ont la passion jusqu’à l’obsession – un petit monde qui, sous un certain angle, peut apparaître comme une coterie de collectionneurs érudits, blêmes et misanthropes, et sous un autre comme une fraction non négligeable de l’humanité –, il n’existe pas de fantômes plus intrigants que deux femmes dont les noms apparaissent ensemble sur trois disques ultra-rares sortis en 1930 et 1931 : Elvie Thomas et Geeshie Wiley. Il y a des musiciens aussi obscurs qu’elles, certes, et des musiciens aussi grands ; mais il n’y en a aucun pour qui l’intersection, sur un diagramme de Venn, entre la grandeur et l’effacement révélerait une coïncidence aussi étendue, aussi stupéfiante. Au printemps 1930, dans un studio d’enregistrement humide et mal éclairé, dans une petite localité du Wisconsin, sur la rive ouest du lac Michigan, le duo a enregistré une série de chansons que l’on compte depuis plus d’un demi-siècle parmi les chefs-d’œuvre de la musique d’avant-guerre. Deux en particulier, “Motherless Child Blues” d’Elvie et “Last Kind Words Blues” de Geeshie, sont comme le double sommet de leur œuvre brève : elles ont inspiré des essais, des romans, des films et des reprises – l’histoire classique.

The Ballad of Geeshie and Elvie a été traduit de l’anglais (États-Unis) par Boris Donné & Guillaume Godard. Le texte a paru la première fois dans le New York Times Magazine en avril 2014. © John Jeremiah Sullivan, 2014