Kitei Son

1936, jeux Olympiques de Berlin, tandis que Jesse Owens, au nez et à la moustache d’Adolf Hitler, collectionne les médailles, Kitei Son, les yeux baissés, mine grave, monte sur la plus haute marche du podium du marathon. Il vient de tout gagner. Mais on dirait qu’il a tout perdu. Et pour cause : coréen, son véritable nom Sohn Kee-Chung a été japonisé, et c’est à contre-cœur qu’il court sous les couleurs nippones. Gagner pour l’ennemi, l’histoire d’une révolte silencieuse.

Extrait

C’est l’image forte des Jeux de 1936. Et pourtant, elle est absente de notre Panthéon sportif. À Berlin, on s’est focalisé sur Hitler, Jesse Owens, les Juden Verboten et autres inscriptions antisémites remisées à la va-vite pour ne pas effrayer les visiteurs étrangers, c’est important ce nettoyage de la capitale pour les Jeux. Une vision occidentale. On en a oublié Kitei Son, les yeux baissés, sur la plus haute marche du podium du marathon. Il vient de tout gagner. Mais on dirait qu’il a tout perdu. Étrange attitude. Plus étrange encore, son double nom. Très longtemps, le CIO a laissé sur ses tablettes ce Kitei Son aux consonances japonaises. Mais dans les années 1980, le comité Olympique de Séoul a commencé à bombarder Lausanne de courriers pour que l’on rétablisse son véritable patronyme, coréen : Sohn Kee-Chung. En vain, jusqu’en 2011. Mais l’intéressé était mort depuis 2002, à près de quatre-vingt-dix ans. Et sur le palmarès des JO, le pays vainqueur reste encore le Japon, qui avait annexé la Corée en 1910, créant ce monstre répondant au doux nom de fusion nippo-coréenne.

Mes remerciements à Raymond Pointu qui m’a prêté les Mémoires de Sohn dans leur version japonaise et à Mamiko Shigesama qui m’en a traduit quelques chapitres.