Feuilleton Nº

18

Le journaliste et l’assassin, de Janet Malcolm

auteur
Emmanuel Carrère
illustrateur
Aline Zalko

Il faut parfois effectuer maints détours pour approcher et saisir le coeur de ce qui nous concerne. Chez l’écrivain Emmanuel Carrère, cette hypothèse semble élevée au rang de règle. Ici, c’est en analysant un grand classique du genre, Le Journaliste et l’Assassin, de Janet Malcolm, que l’auteur nous convie à pénétrer les coulisses de sa propre écriture. Il en dévoile, à cette occasion, l’une des pierres de touche : la question morale qui se pose à quiconque s’empare par la plume de la vie des autres.

Extrait

C’est une histoire à trois étages. Le premier est une affaire criminelle : en 1970, en Caroline du Nord, un médecin militaire appelé Jeff MacDonald est accusé du meurtre de sa femme et de leurs deux petites filles. Les présomptions sont lourdes, mais les éléments à décharge aussi. Jeff Mac Donald a-t-il commis ces crimes ? Lui seul le sait. Il clame son innocence et donc, de deux choses l’une : il est soit la victime potentielle d’une terrible erreur judiciaire, soit un assassin doublé d’un monstre d’hypocrisie. Le vertige moral résultant de ce doute est une
bonne matière à récit, et c’est ici – second étage – qu’entre en scène Joe McGinniss. C’est un polygraphe qui écrit cette chose triste : des best-sellers qui ne se vendent pas. Espérant se refaire sur le terrain de la nonfiction criminelle, qui depuis De sang-froid est aux États-Unis un genre littéraire à part entière, il prend contact avec les avocats de MacDonald et passe contrat, non seulement avec un éditeur mais aussi avec MacDonald lui-même, qui en échange de l’exclusivité de ses confidences recevra un tiers des droits d’auteur.

“Le Journaliste et l’Assassin, de Janet Malcolm” a paru pour la première fois dans Le Monde des livres en juin 2013 puis dans l’anthologie Il est avantageux d’avoir où aller, paru aux éditions P.O.L en février 2016.
© P.O.L Éditeur, 2016