Feuilleton Nº

3

Garcia Marquez va chez le dentiste

traducteur
Gabrielle Lécrivain
Garcia Marquez va chez le dentiste

S’érigeant contre la morale qui, affublée de préceptes contre nature, détruit les passions, Nietzsche écrivait : “Nous n’admirons plus les dentistes qui arrachent les dents pour qu’elles ne fassent plus mal.” Il est peu vraisemblable que ce soit animé de la volonté de se défaire de tels maux que le prix Nobel de littérature, García Márquez, se plût à fréquenter avec assiduité le cabinet d’un modeste dentiste de province. Venu se faire soigner une carie douloureuse, il trouva en la personne du docteur Gazabón un ami. Non pas une idole, mais un magicien.

Extrait

Le docteur Gazabón ouvrit la porte de sa clinique dentaire de Carthagène des Indes et il découvrit, dans sa salle d’attente, García Márquez aussi seul qu’un cosmonaute. Il était, ce 11 février 1991, 14 h 30 et le patient était arrivé, ponctuel, à son premier rendez-vous. “En sept ans, il n’est jamais arrivé en retard”, me rapporterait, bien plus tard, l’odontologiste. Sur la table, au centre, on trouvait la littérature habituelle d’un cabinet de dentiste : quelques revues pour bâiller d’attente et commencer à s’assoupir sous les effets sédatifs d’une musique de fond. Derrière ses lunettes de lecteur de dentitions, Jaime Gazabón paraissait très éveillé. La bonhomie propre aux gens de la côte en Colombie transpire de tout son être et ses moustaches viennent rivaliser avec son sourire symétrique. García Márquez – me racontait-il en 1999 –, était arrivé au premier rendez-vous en voiture avec chauffeur. Le quartier au nom parfait pour un dentiste : Bocagrande (“Grande bouche”).

Ce texte a paru pour la première fois dans The Believer en février 2010. © Julio Villanueva Chang, 2010