L'Entretien Nº

5

Françoise Huguier

Objectif : vies

Elle dit qu’elle ne sait pas particulièrement regarder mais qu’elle aime capter l’atmosphère d’un lieu, s’imprégner d’un paysage, prendre son temps. Elle ne déclenche pas l’appareil à tout propos et déteste « mitrailler » – elle, c’est plutôt la longue distance. Apprivoiser. Se tenir un peu de côté. Se faire oublier. De la traversée de l’Afrique sur les traces de Michel Leiris en passant par les appartements communautaires de St Petersburg, sans oublier les amoureux de Séoul, Françoise Huguier n’est pas seulement une voyageuse, elle est aussi une découvreuse : c’est elle qui nous a permis de connaître le travail de Seydou Keita et Malick Sidibé.

Sa dernière exposition à la maison européenne de la photographie s’intitulait « Pince moi je rêve ». Portrait d’une rêveuse éveillée.

Extrait

Devient-on photographe ?

FH    Je n’étais pas du tout préparée à être photographe. J’avais un père qui trouvait que c’était un drôle de métier, enfin que ce n’était pas un métier, tout simplement. Ma mère, c’était pareil : elle croyait que je m’amusais tout le temps. Et puis un jour elle m’a vu travailler et m’a dit : « J’ai compris, c’est parce que tu commandes tout le monde ». Oui et puis le cheminement d’un photographe, comment devient-on photographe… Moi, je ne suis pas passée par des écoles de photo. J’ai appris sur le tas. Et ça a été une volonté, contre mon père, contre vents et marées, parce que ce n’était pas un métier. Et puis, pas facile au début, car j’étais une femme et une femme, dans un studio, c’était… on n’était pas capable de porter un flash. À l’époque, également, les assistants dans les studios photo n’étaient pas payés. Ensuite, il y eut une longue période où ils ont été payés, mais maintenant ça redevient comme avant, c’est-à-dire qu’on a tendance à ne pas les payer. Donc, qu’est-ce qui me restait ? C’était le laboratoire photo. Et avec le laboratoire, j’ai eu du mal. J’ai eu du mal parce qu’on est enfermé dans le noir. Moi je n’y connaissais rien. En plus, c’était une période où on faisait tout à la main. C’était quand même des produits qui étaient assez nocifs et puis surtout il y avait des temps déterminés pour développer. Moi je développais des plans film couleur. Donc, il y a des temps déterminés pour le développement, le blanchiment, etc. Et il m’arrivait de m’endormir, ce qui ne se fait pas au travail… En plus, pour que les produits se mélangent bien, on avait un système où il y avait une infiltration d’azote et l’azote faisait se boucher les plans film, donc je faisais des scratch, enfin bon, je n’étais pas douée quoi. Et en plus, c’était vraiment un huis-clos, c’est-à-dire qu’on était ensemble toute la journée, on mangeait ensemble… Moi je n’aimais pas trop ça et puis je ne venais pas d’un milieu comme ça, donc ça n’a pas été un apprentissage très rigolo.

Crédit photo : © Cyril Zanettacci