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Jean Giono
Jean Giono

Emboîtant le pas à Winston Churchill et son définitif “No Sport!”, Jean Giono fustige le sport, “la plus belle escroquerie des temps modernes”… Que répondre au berger de Manosque, sinon qu’un écrivain sans divertissement est un “homme plein de misère” – et vlan !

Extrait

Je suis contre. Je suis contre parce qu’il y a un ministre des sports et qu’il n’y a pas un ministre du bonheur (on n’a pas fini de m’entendre parler du bonheur, qui est le seul but raisonnable de l’existence.) Quant au sport, qui a besoin d’un ministre (pour un tas de raisons, d’ailleurs, qui n’ont rien à voir avec le sport), voilà ce qui se passe : quarante mille personnes s’assoient sur les gradins d’un stade et vingt-deux types tapent du pied dans un ballon. Ajoutons suivant les régions un demi-million de gens qui jouent au concours de pronostics ou au totocalcio, et vous avez ce qu’on appelle le sport. C’est un spectacle, un jeu, une combine ; on dit aussi une profession : il y a les professionnels et les amateurs. Professionnels et amateurs ne sont jamais que vingt-deux ou vingt-six au maximum ; les sportifs qui sont assis sur les gradins, avec des saucissons, des canettes de bière, des banderoles, des porte-voix et des nerfs sont quarante, cinquante ou cent mille ; on rêve de stades d’un million de places dans des pays où il manque cent mille lits dans les hôpitaux, et vous pouvez parier à coup sûr que le stade finira par être construit et que les malades continueront à ne pas être soignés comme il faut par manque de place.

“Le sport” est extrait des Terrasses de l’île d’Elbe, publié aux éditions Gallimard en 1976. © Éditions Gallimard.