traducteur
Magali Berger
illustrateur
Vahram Muratyan

Emmanuel Bove, à l’image des personnages de ses romans, se distinguait par une discrétion extrême. Vouée tout entière à l’échec, son oeuvre méconnue a pourtant suscité l’admiration de Rilke, Soupault, Beckett ou encore Handke. Depuis sa mort, l’écrivain n’a cessé d’être redécouvert, pour toujours mieux s’effacer. Le hasard a conduit Jane Kramer, du New Yorker, sur les traces de l’auteur. Elle livre le portrait d’un homme dont le curieux destin n’est pas sans révéler un certain esprit français…

Extrait

Il y a environ une demi-heure de marche de ma rue jusqu’au cimetière de Montparnasse et c’est une promenade que font souvent les gens du quartier à cause de tous les personnages fascinants qui y sont enterrés. L’abbé Grégoire, ce prêtre, artisan passionné de la Révolution, y côtoie son vieil adversaire Claude-François Chauveau-Lagarde, l’avocat qui défendit Marie-Antoinette et Charlotte Corday. Les peintres Gérard et Girodet sont là aussi et l’historien Augustin Thierry, l’explorateur Jules Dumont d’Urville et l’étonnant docteur Mathieu Orfila, dont les écrits sur les propriétés de l’arsenic ont inspiré une génération d’empoisonneurs. Comme le Père-Lachaise et le cimetière de Montmartre, celui de Montparnasse constitue une sorte d’histoire funéraire des cent cinquante dernières années de la capitale. En 1980, les cendres de Jean-Paul Sartre ont été enterrées ici. Des milliers d’étudiants ont suivi son cortège funèbre à travers Montparnasse et ont ainsi découvert ce lieu où beaucoup d’entre eux retournent. Ils y viennent quand il fait beau, pour lire et se promener en mangeant un pain au chocolat et entrer dans une sorte de communion protectrice avec leur héros. Il y a toujours une fleur sur la tombe de Sartre ; Simone de Beauvoir avait déposé une rose le jour de l’enterrement et les étudiants ont pris le relais.

“Emmanuel Bove” est extrait du livre Européens, traduit de l’anglais (États-Unis) par Magali Berger et paru aux éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 1990, pour la traduction française. © Jane Kramer, 1988. © Éditions Grasset & Fasquelle, pour la traduction française, 1990.