L'Entretien Nº

3

Élisabeth Roudinesco

Jacques Derrida

“Comment penser la différence dans l’universel ?”, c’est le titre d’un des chapitres de leur livre publié en 2001, De quoi demain… Interrogeant à la manière de Victor Hugo leur proche passé et leur présent, ces deux intellectuels de deux générations différentes – Élisabeth Roudinesco a quinze ans de moins – dressent un bilan de la pensée critique et explorent des thèmes qui, à l’époque, ne retenaient guère l’attention, comme les conséquences de l’éclatement de la famille, la fragilité de la démocratie, la souffrance animale, l’éloge de la philosophie en tant que mode d’écoute et d’ouverture à l’Autre.
Élisabeth Roudinesco est historienne, philosophe, auteur de nombreux livres, dont Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, une biographie de Jacques Lacan et, entre autres, l’Histoire de la psychanalyse en France.

Extrait

Élisabeth Roudinesco, vous avez publié en 2001 De quoi demain… Dialogue, et ce livre s’ouvre par les raisons qui vous ont conduite à faire ce dialogue avec Derrida et la dette que vous éprouviez envers celui qu’on ne pourrait pas dire un maître, un compagnon non plus, quelque part entre le maître et le compagnon : quelqu’un qui vous a formée, qui a architecturé votre pensée ?

ER : Je dirais un ami, parce que tout avait très mal commencé entre lui et moi, en 1972 je l’avais beaucoup critiqué pour sa critique contre Lacan, et c’était plutôt mal parti. Je n’ai pas été son élève, j’étais l’élève de Michel de Certeau et de Deleuze, et je l’ai revu en 1985 quand j’écrivais l’Histoire de la psychanalyse. Je lui ai d’ailleurs présenté mes excuses pour des attaques qui étaient un peu ridicules, c’était une erreur de jeunesse… Il a été très accueillant, on a immédiatement sympathisé, et c’était aussi une époque de ma vie où on sortait de tous les dogmatismes, lacaniens, mais pas seulement : des dogmatismes en tout genre. Il était un ami de la psychanalyse, et c’est vrai qu’au départ je trouvais sa pensée étrange, il voulait déconstruire, défaire les grands mythes, les grands systèmes de pensée, et moi j’étais plutôt inscrite dans les systèmes de pensée en question.

© Archives de Mme Roudinesco