L'Entretien Nº

5

Eduardo Arroyo

La peinture ne mourra jamais

Né à Madrid en 1937, Eduardo Arroyo s’exile à Paris en 1958 pour fuir le franquisme, bien décidé à devenir journaliste et écrivain. Mais la force de la peinture (il est l’un des principaux artistes de la « figuration narrative ») l’a détourné de l’écriture sans qu’il perde pour autant sa « folie littéraire ». « En réalité, je pense littérature. Ma peinture est inspirée de la littérature », écrit-il. Et c’est avec l’écrivain, autant qu’avec le peintre, que nous nous sommes entretenus au fil des années. Les entretiens qui suivent sont là pour en témoigner. Le dernier, inédit, a été enregistré l’été dernier à l’occasion de la grande rétrospective de la Fondation Maeght, « Dans le respect des traditions ».

Extrait

PEINDRE EST UNE CHOSE COMPLIQUEE

 

 

Une nuit de mars, dans un restaurant de Salzbourg, Eduardo Arroyo parle d’abondance. Il surprend ses interlocuteurs, parmi lesquels le metteur en scène Klaus Michael Grüber, en inventant un trio, apparemment très circonstanciel : Goya, Benjamin et Byron. Quand on est peintre, pourquoi ne pas peindre ce qu’on imagine ? Il y pense évidemment, Eduardo Arroyo, parce qu’il n’est pas né de la dernière pluie et il en conclut que s’il devait représenter ces trois hommes, l’image qui s’imposerait à lui serait une tête de mort. Goya, Benjamin et Byron, des crânes, des têtes de mort décharnées, abandonnées dans des cimetières sans gloire. Il faut prendre garde à la peinture et peut-être laisser les mots prendre le relai, la mort dans l’âme. Aussitôt dit, aussitôt fait, Arroyo écrit son triptyque tambour battant quitte à être rattrapé par la peinture. Il en résulte un livre intitulé Dans des cimetières sans gloire dont la traduction française paraît chez Grasset. Ces trois récits, ces trois vanités, dit leur auteur, ont été écrits parce qu’ils ne pouvaient être peints. Mais ils prétendent aussi être des tableaux. Tableaux en guise de décors de théâtre : une faible lumière au centre du plateau, un microphone pour trois, le Trio Calaveras entre en scène. Calavera, nous signale la traductrice, Fabienne di Rocco, signifie justement tête de mort, tête de brûlé. Et le peintre, en braquant sur eux sa poursuite, avec la vivacité qu’on lui connait, a eu certainement une idée derrière la tête.

 

Vous savez, Eduardo Arroyo, que vous nous manquez à Paris ?

E A     Merci beaucoup. C’est vrai que je me suis un peu éloigné de Paris pour de multiples raisons mais c’est vrai aussi peut-être que la parution de ce livre, et mon exposition chez Louis Carré il y a quelques mois, marquent un peu un retour à Paris, car je ne peux cacher que cette ville dans laquelle je suis arrivé en 1958 me manque. Me manque la ville et me manquent mes amis et me manque aussi la vie, que j’avais séquestrée d’une certaine manière.

 

Je regarde vos mains depuis un instant – avant que nous parlions des têtes – et je vois qu’il n’y a pas du tout de peinture sur vos mains. Est-ce que ça veut dire que vous avez commencé aussi à abandonner la peinture ?

E A     Ah non, certainement pas. Je continue à peindre, disons, de façon quotidienne.

Crédit photo : © Hervé Gloaguen / Gamma-Rapho / Getty Images