Feuilleton Nº

18

Écrire en position de faiblesse

illustrateur
Aline Zalko

Quand l’écrivain investit le réel, ordinairement trusté par les journalistes, nulle question pour lui d’apposer une nouvelle couche fictionnelle à un monde qui en est déjà saturé. Face à l’érosion de la puissance du récit, fragilisé par sa prolifération et son formatage dans le langage des publicitaires, politiques et autres communicants, Philippe Vasset ne renonce pourtant pas à l’art de raconter. Il en souligne d’ailleurs la nécessité, à condition toutefois d’en explorer les rouages, pour mieux les subvertir et les réinventer.

Extrait

Le problème du réel, c’est qu’il résiste, et se plie difficilement au récit. Écrire sur le monde, c’est abandonner le confort de la fiction, oublier les raccourcis heureux, les retouches et les personnages, et se coltiner les lenteurs et les complications d’une réalité singulièrement dépourvue de sens dramatique. L’écrivain qui décide de se confronter au réel sans le secours de l’invention doit quitter la position de toute-puissance du scripteur à sa table de travail pour celle, singulièrement inconfortable, d’un intrus qui n’a aucune prise sur les phénomènes qui l’entourent.

Écrire sur le monde, c’est donc écrire en position de faiblesse. S’abandonner à une réalité touffue, changeante, aux enjeux mal identifiés, et ce sans le secours d’aucune technique, d’aucun
savoir-faire. Car contrairement au journaliste, l’écrivain ne cherche pas d’information : il peut arriver qu’il en trouve, mais cela ne constitue en aucun cas son objectif principal.

“Écrire en position de faiblesse” est un texte inédit.
© Éditions du Seuil sous la marque Éditions du sous-sol, 2016.