L'Entretien Nº

1

Dounia Bouzar

Comprendre pour mieux lutter contre l'emprise de Daech

Docteur en anthropologie, spécialisée dans le fait religieux, elle a fait sa thèse sur l’islam politique chez les jeunes musulmans nés en France. Devenue éducatrice d’hébergement, elle a très vite compris que la culture pouvait devenir un moyen de réinsertion pour des jeunes dits « en difficulté ». Ainsi a-t-elle créé une compagnie de théâtre pour aider les personnes à s’exprimer et à trouver une place dans la société. Elle se bat contre l’embrigadement des jeunes par Daech. Sa méthode : connaître de l’intérieur leurs tactiques et leurs stratégies.

Extrait

On est quelque part dans Paris, au fond d’une cour, dans un sous-sol. Que venez-vous de vivre ?

DB : Je viens de vivre ce qui est devenu une partie de notre quotidien, maintenant : ce qu’on appelle, nous, une séance de déradicalisation avec un jeune homme. En fait, nous lui avons tendu un guet-apens. Les jeunes ne savent absolument pas qu’ils viennent nous voir, sinon ils ne viendraient pas. Un radicalisé ne sait pas qu’il est radicalisé, il a plutôt l’impression qu’il a du discernement, qu’il voit, lui, des choses que les autres ne voient pas, que tous les autres sont endoctrinés. Donc, la difficulté de la déradicalisation, c’est toujours de faire venir la personne radicalisée. On loue à chaque fois une salle dans un nouvel endroit, d’abord parce que c’est le protocole de sécurité posé par le ministère de l’Intérieur, afin qu’on ne soit pas repérables, et puis parce qu’il faut que ce soit un endroit qui ne se situe pas dans un commissariat ou une préfecture. Notre méthode consiste à faire une espèce d’alliance avec les proches, les parents, ou les conjoints, pour que celui qui est radicalisé les suive et se retrouve parmi nous. Cette fois-ci, on a réussi, il est venu.

Photo : © Frédéric Stucin