photographe
Javier Arcenillas
De sang chaud

Après avoir dénoncé le système de la Camorra napolitaine dans Gomorra, Roberto Saviano, traqué depuis et vivant reclus, s’attaque aux cartels mexicains. Confronté aux photographies des corps mutilés de victimes de la mafia latino-américaine, l’auteur pointe l’impasse troublante dans laquelle le monde, dans sa globalité, est plongé. La médiatisation ne participerait-elle pas du système pernicieux qu’elle entend dénoncer ? Quand l’image ne vit que par notre regard et ne vaut que par ce qui nous regarde, les images “limites” bouleversent les rapports complexes entre auteur et spectateur, entre proche et lointain.

Extrait

Je voudrais dire au lecteur de s’arrêter ici, de ne pas poursuivre. De ne pas regarder ces photos. Je voudrais dire au lecteur de ne pas ramener ce journal chez lui s’il a des enfants, de ne pas le laisser traîner s’il a une fiancée, un compagnon, un mari ou une femme qui n’a pas l’estomac bien accroché ou qui est incapable de supporter certaines images. Je voudrais dire au lecteur de dissimuler les pages, de les garder cachées. Je voudrais dire au lecteur qui risquerait de montrer ce journal à son voisin dans le train, le métro, le bus, de ne pas l’ouvrir. Je voudrais lui conseiller tout cela, mais je ne le fais pas. Au contraire, je sais parfaitement qu’en écrivant ces mots, je l’incite à les regarder, ces photos, peut-être même avec une plus grande attention. Mais je ne peux faire autrement que de l’avertir : elles le dérangeront, et non parce qu’elles montrent l’impact des balles et le martyr des corps. Ce qu’elles racontent ne s’arrête pas là. Ces photos décrivent un monde et ses rouages.

A sangue caldo”, traduit de l’italien par Alexandra Gompertz, a paru pour la première fois dans Intelligence Lifestyle, Il Sole 24, ORE, en mai 2012. © Roberto Saviano, 2012