L'Entretien Nº

4

Claire Denis

Tout doit frémir

Claire Denis possède la particularité de savoir faire des images mentales, ou plutôt de pouvoir représenter sur un écran ce que ses personnages ressentent au plus intime d’eux-mêmes. Du premier film – remontée mémorielle au pays de son enfance – jusqu’au dernier qui sort sur les écrans et qui est peut-être une autobiographie déguisée, elle capte les visages, scrute les déplacements des corps dans l’espace et nous entraîne à partager avec elle la sentimentalité de l’existence – les moments où ça va et les autres où on se sent au bord du précipice. Son écriture scénaristique est fragmentée, sa direction d’acteurs volontairement abandonnée à la grâce de ceux-ci, son style chaloupé, jazzy, onirique. Il y a de la place pour nous spectateurs dans son cinéma comme il y a de la place pour nous lecteurs dans chaque livre de Sarraute ; Sarraute
qu’elle aime, et ce n’est pas un hasard.

Extrait

Claire Denis, on vous connaît depuis déjà longtemps, vous avez fait de nombreux films, le premier c’était Chocolat, il y a eu Beau Travail, Vendredi soir, Un beau soleil intérieur est le dernier, l’avant-dernier c’était Les Salauds. On sait par votre film Chocolat que vous avez passé votre enfance en Afrique. En Afrique, il n’y avait pas de cinéma ?
CD Non, non. C’est pas là où nous habitions avec mes parents qu’on allait en trouver, c’était trop
loin des villes. Le cinéma, c’était la voix de ma mère. Ma mère qui me racontait les films qu’elle avait vus, pendant la guerre ou avant la guerre, et c’était formidable, c’était comme quelque chose que j’aurais peut-être le droit un jour moi aussi d’atteindre : aller voir un film.

Crédit photo : ©  Julien de Gasquet